Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Débats - Page 5

  • La communication: très certainement le coeur de la transmission

    La pensée chemine, culmine puis s'arrête enfin. Mais nous ne savons jamais vraiment où nous nous trouvons dans le parcours, emberlificotés que nous sommes dans l'incomplet, l'analytique, l'hypothético-déductif, l'analogique, le créatif, le sorite, l'approximatif et, il faut bien l'avouer, l'erreur qu'elle soit d'interprétation ou de raisonnement.

    La Science place des panneaux indicateurs sur le chemin, indiquant que la voie est libre ou au contraire, que le chemin suivi est sans issue car il est bien souvent incompatible avec des résultats antérieurs déjà validés. Avant de dire la grande Vérité, à tout jamais inaccessible,  la Science élimine l'incohérent, le farfelu,  l'impossible ici et maintenant, de demain ou d'hier. Elle place les réserves, elle évalue le probable et l'improbable, quantifie les écarts, organise l'information et la réthorique des échanges, oriente les modes de pensées afin de les rendre compatibles. La Science permet la création sous réserve de cohérence de l'ensemble. 

    Mais la Science doit se dire, se transmettre, se faire comprendre. Elle n'est d'ailleurs pas la seule à rencontrer cet impératif de transmission dont le seul fait d'avoir "voix au chapitre" ne suffit plus. Le Politique, l'Economique, le Scolaire doivent eux aussi le faire. Les temps changent. Les supports de transmission aussi. Les choses deviennent plus complexes, plus interactives. Le récepteur filtre l'information, peut la rejeter, l'ignorer ou l'accepter sous conditions. Il devient de plus en plus un élément majeur de l'environnement communicationnel qui doit être pris en compte dans le processus global. La communication est ce quatuor dynamique inclusif : Emetteur, Recepteur, Relation et Support. Si la production scientifique est indépendante de la nature du support et de la relation, elle ne l'est plus lorsque ceux-ci deviennent objet de recherche. Et par un même mouvement, si le scientifique cherche à communiquer avec des scientifiques dans un autre champ ou avec des néophytes, il doit aussi se frotter à une transmission qui ne serait plus simplement composée d'informations brutes mais d'objets communicationnels complexes et travaillés intégrant le récepteur du message, flirtant avec la vulgarisation, sa capacité de compréhension, la force de conviction de celui qui énonce. 

    Je viens de boucler un article sur la modification des pratiques enseignantes à l'heure des TICE dans lequel j'ai placé la Communication (avec un grand C comme pour étendre son statut à tous les moyens disponibles et tous les objectifs visés) au même niveau d'importance que la Didactique et la Pédagogie.  Je suis intimement convaincu que la modification de la nature des supports et des moyens de transmission, impacte en profondeur non seulement sur la vitesse des échanges mais principalement sur la nature même de la pensée en y injectant de nouveaux objets et génère donc de nouveaux modes de reflexion. La modification des objets transmis produit une modification de la pensée elle-même, puisque ceux-ci s'y retrouvent de façon naturelle. Ne pas considérer ce point dans l'acte éducatif place l'école sur une voie de garage, comme devenant une sorte de résurgence anachronique par insuffisance symbolique.

    Pour qu'il y ait transmission scolaire, il faut nécessairement trouver cet accord symbolique entre l'émeteur et le récepteur qui ne peut plus exclusivement relever du contrat didactique. Il ne peut s'effectuer qu'au sens d'une proximité des sens symboliques, les nouvelles technologies y trouvant naturellement leur place. Les TICE ne recouvrent cependant qu'une partie de de la cohérence symbolique recherchée mais permettent au moins un accord à minima entre les parties avec une dépense d'énergie convenable (à condition que chacun les maîtrise de façon suffisante). Elles ont l'avantage (et l'inconvénient) d'irriguer l'intégralité des champs du savoir. Le pacte symbolique (je préfère le mot pacte au mot contrat) serait de la même nature que le pacte linguistique de Roger Bacon (13ème siècle). Il releverait de l'occasionnalisme, celui de Bacon correspondait à l'entente entre les deux parties sur le sens des mots et j'y ajouterai aujourd'hui sur la symbolique globale de la communication et des contenus échangés dans un environnement technologique. Étymologiquement, le symbole est un tesson de poterie cassé en deux. Chacune des parties est donnée à l'un des contractants qui ne pouvaient liquider le contrat qu'en réunissant les morceaux. La communication est très certainement le processus qui permet de travailler sur la distance entre les deux acteurs, les rapprocher, les "recoller". Certains y verront apparaître  les termes de signifiant et signifié, il peut s'agir aussi de connaissances et de compétences. On pourra trouver aussi la motivation, la compréhension, le concret et bien d'autres termes allant au delà des seuls contenus d'enseignement. Et peut-être enfin tout simplement, l'envie ou la peur. D'une façon générale, tous ces processus sont modifiés, changent de nature au contact d'un environnement technologique favorisant lui-même  la communication. On peut voir avec quelle vitesse et motivation, les ados (et même des plus agés) dégainent leur Smartphone, laissant réveur tout professeur qui tente en vain depuis de nombreuses années, de faire sortir le livre de cours à ses élèves en moins de 5 minutes!

    La technologie est incluse dans la communication. Il est possible de l'utiliser à bon escient pour faire sens, pour servir de médiateur dans une construction symbolique parfois difficile à trouver. Les nouvelles technologies sont de mon point de vue un habillage communicationnel que l'on peut utiliser et  faire varier suivant les buts recherchés.

    Dominique Wolton, directeur de l'Institut des Sciences de la Communication du CNRS aborde dans l'émission radio "Infos Sciences" , le tournant communicationnel et les enjeux scientifiques, non sans rapport avec ce que je viens de dire précédemment. 

     

     

    La communication, dans sa composante interactive est une relation mettant l'action du récepteur au premier plan. On pourrait tout aussi bien changer le mot communication par celui de  pédagogie ou de didactique sans produire de contresens. La communication étudie les échanges, la pédagogie les objectifs d'assimilation et de restitution, et la didactique, la nature et la forme des contenus transmis.

    Il est intéressant d'entendre dire D. Wolton que l'interdisciplinarité (que l'on souhaite toujours mettre au coeur du système éducatif) relève de la communication et donc de la négociation. Le terme d'incommunication peut être mis de façon très intéressante en rapport avec la notion d'"incommunicabilité" (que je préfère à celle de nonsense) abordée de façon métaphorique par Lewis Carroll  dans son oeuvre dans laquelle on pourra aussi trouver des éléments intéressants sur la "communicabilité". Pour faire court, Carroll semble avoir mis le doigt sur les phénomènes principaux liés à la transmission d'un message ou à son absence. Par exemple, les mots-valises qui pourtant n'existent pas, sont tout à fait compréhensibles, comme l'est aussi le poème du Jabberwocky, composé de mots inconnus. La communication n'est donc pas seulement une affaire de lexique (ah ces textos qui ne respectent aucune ortographe ni aucune syntaxe et qui sont pourtant tout à fait compréhensibles...). Et tout le parcours d'Alice est celui d'une petite fille qui tente de se faire comprendre et de comprendre le monde dans lequel elle évolue et il faut bien là aussi constater que les exemples d'"incommunicabilité" sont légion!  Lire en partie sur ce propos, mon interprétation personnelle de l'impossible communication entre Alice (pensée affective) et Humpty-Dumpty (pensée algorithmique). S'interroger sur l'"incommunication", que l'on rencontre souvent dans le monde scolaire, est sans aucun doute très riche d'enseignement. La conversation entre Alice et Humpty-Dumpty pourrait se transposer facilement à l'école, montrant à quel point les difficultés de communication peuvent y être importantes entre une pensée affective  et une pensée cartésienne, une pensée qui reçoit le sens et celle qui le donne. 

    -Humpty Dumpty : "C'est de la gloire pour toi !"
    -"Je ne comprends pas ce que tu veux dire par gloire", répondit Alice
    Humpty Dumpty sourit d'un air dédaigneux,
    -"Naturellement que tu ne le sais pas tant que je ne te le dis pas. Je voulais dire : c'est un argument décisif pour toi !"
    -"Mais gloire ne signifie pas argument décisif", objecta Alice.
    -"Lorsque j'utilise un mot", déclara Humpty Dumpty avec gravité, " il signifie exactement ce que j'ai décidé qu'il signifierait - ni plus ni moins ".
    -"Mais le problème" dit Alice, "c'est de savoir si tu peux faire en sorte que les mots signifient des choses différentes".
    -"Le problème", dit Humpty Dumpty, "est de savoir qui commande, c'est tout " !

    Le pacte symbolique est un impératif. Les TICE permettent sans aucun doute de favoriser son émergence en délestant d'une partie de la charge du sens, l'émetteur et le récepteur du message.

    Il y a quelques années (déjà!), je me suis mis à la recherche des germes d'une philosophie de la transmission. J'y ai trouvé peu de choses. La communication semble aujourd'hui l'élément incontournable d'une réflexion sur la transmission. Il faudra aussi  travailler sur l'altérité comme le souligne D. Woltron. Il est intéressant de noter que la notion d'altérité peut sans doute se dissimuler derrière celle de communication, qui sont peut-être les composantes  d'un même concept relevant pour l'un de l'état et pour l'autre du processus.

    Nous pouvons aussi nous interroger sur l'impossible mission de définir des contenus à transmettre pour tous, en même temps que pour chacun!

  • Coup de gueule et traduction

    L'OCDE vient de publier un rapport concernant la question des enseignants du XXIème, qui à entendre certains discours serait une caste de privilégiée de fainéants frôlant l'incompétetence, toujours en vacances dont les salaires pharaoniques pèseraient sur le budget de l'état, mais que paradoxalement  plus aucun jeune ne veut intégrer. La situation atteint d'ailleurs son paroxisme en France, notre pays, fort d'être le seul pays de l'OCDE où les salaires des enseignants ont régressé durant ces 10 dernières années.

    Voir l'article du Café Pédagogique.

    La place de cet article sur ce blog ne résume pas à ce coup de gueule "en passant" mais vient plutôt de l'image de la page de garde de ce rapport.

    Comprenez-vous ce qui est écrit sur le tableau?

    OCDE, statut,enseignement

  • Indiscrétion psychologique de mathématiciens: le fossé de Sloane

    La base de Sloane (Online Encyclopedia of Integer Sequences) réunit plusieurs dizaines de milliers de suites mathématiques considérées comme « intéressantes » par certains mathématiciens. La représentation graphique de la fréquence d’occurrence de n en fonction de n montre une fonction rapidement décroissante, et un nuage qui semble séparé en deux par une zone claire qu’on nomme ici le fossé de Sloane.
    La décroissance et la forme générale s’expliquent assez facilement mathématiquement, mais l’explication du fossé nécessite d’autres considérations.

     

    nprops.png

     

    L'article de Nicolas Gauvrit, Jean-Paul Delaye et Hector Zenil qui vient d'être mis en ligne.

    L'origine de la découverte par Philippe Guglielmetti sur son blog Pourquoi Comment Combien.

  • Computable Document File

    C'est peut-être passé inaperçu en France mais Wolfram vient de définir un  nouveau format de document, le CDF pour Computable Document File, qui rappelle étrangement le PDF.

     

    L'auteur du CDF devra être muni d'un logiciel d'édition, ici il s'agira de Mathematica avec lequel il pourra éditer du texte et du code. Il pourra aussi modifier un texte et un code existant. Le lecteur devra quant à lui disposer d'un logiciel mis gratuitement à la disposition de chacun, le Player Mathematica, mais il ne pourra que lire le document et non le transformer.

    Le document pourra être rendu intercatif par l'auteur comme le montre la vidéo suivante.

     

     

    Wolfram a eu la bonne idée de commencer par créer une bibliothèque impressionante de "démonstrations", et de lancer son moteur de recherche WolframAlpha , qui si on le regarde bien dispose d'un petit lien... "Live Mathematica" en bas de chaque page de requête permettant un export en .jsp format qui peut être lu par Mathematica. 

    La boucle est bouclée. Mathematica n'est plus seulement un logiciel dédié aux mathématiques mais devient le premier éditeur de documents de type CDF.

    Ce n'est pas de la pub pour Wolfram que je voulais faire ici, mais pointer la modification de la nature de l'information lorsqu'elle devient numérique. Celle-ci change profondément de forme lorsque le support change et CDF est certainement le premier pas vers des formes de documents interactifs dont l'auteur peut manipuler le code.

    J'avais longuement parlé de l'avenir de l'édition scolaire, de la modification de la nature de l'information par le simple fait de la modification de son support et je crois que nous sommes ici, bien plus à l'aube d'une modification profonde de l'édition que nous l'avons été avec l'arrivée du traitement de texte, qui a permis des gains importants de productivité mais n'a pas modifié la structure même de l'information papier.

    Je ne sais pas si dans cette évolution Wolfram ressortira vainqueur mais il y a fort à parier qu'il a pris une sérieuse avance dans le domaine de la publication numérique. Il lui restera sans doute à penser au grand public et je pense que l'avenir apportera son lot de surprises et de guerres violentes mais l'idée de base est là.

    Exemples de documents CDF.

  • Mais où est donc passée l'idée d'un laboratoire mathématique?

    Emile_Borel-1932.jpgAu début du XXème siècle, Emile Borel, brillant mathématicien,  pronait le développement des laboratoires mathématiques dans les classes pour que les élèves se rendent compte qu'elles ne sont pas une pure abstraction... On a vu se pousuivre le développement des laboratoires de physique expérimentale et de SVT, mais pourquoi le système scolaire français n'a-t-il jamais poussé plus en avant cette idée?

     

    Il semble que la valeur éducative de l’enseignement mathématique ne pourra qu’être augmentée si la théorie y est, le plus souvent possible, mêlée à la pratique. L’élève comprendra qu’il est sans doute excellent de bien raisonner, mais qu’un raisonnement juste ne conduit à des résultats exacts que si le point de départ est lui-même exact ; qu’il faut, par suite, ne pas croire aveuglément à tout raisonnement, à toute démonstration d’apparence scientifique, mais se dire toujours que la conclusion n’a de valeur qu’autant que les données ont été scrupuleusement vérifiées par l’expérience. C’est la meilleure éducation que nous pouvons souhaiter donner à nos élèves. Quand ils auront bien compris à la fois la puissance indéfinie du raisonnement abstrait et son incapacité absolue à créer de toutes pièces une vérité pratique, ils seront mieux armés pour la vie.

    Le hasard, Emile Borel, éd. Librairie Félix Alcan, 1914, p. 12-13

     

    On pourra lire avec un intérêt tout particulier la conférence qu'il a donné le 3 mars 1904 au  musée pédagogique d'où sont extraites les citations suivantes:

    Mais pour amener, non seulement les élèves, mais aussi les professeurs, mais surtout l’esprit public à une notion plus exacte de ce que sont les Mathématiques et du rôle qu’elles jouent réellement dans la vie moderne, il sera nécessaire de faire plus et de créer de vrais laboratoires de Mathématiques.

    Si la création de laboratoires en partie communs, se prêtant des appareils, utilisant même, dans un petit établissement, les mêmes outils, pouvait avoir pour résultat de rapprocher les physiciens et les mathématiciens, ce serait déjà une raison suffisante pour les créer.

    j’ai parlé de ce que, à mon sens, il y avait à faire au point de vue des exercices pratiques de Mathématiques, mais je n’ai pas dit qu’il fallait supprimer l’enseignement théorique des Mathematiques ; je pense, au contraire, qu’on peut le conserver tel qu’il existe (à peu de chose près) ; mais cet enseignement théorique ne sera que mieux compris s’il est accompagné d’exercices pratiques, tels que nous avons essayé de les définir.

    Cela étant bien entendu, il semble que la valeur éducative de l’enseignement mathématique ne pourra qu’etre augmentée si la théorie y est, le plus souvent possible, mélée à la pratique.