Deux segments et une rotule pour une jambe de bois: le « Kernesis »

L’idée initiale c’était de relier l’Eclosophie, la poussée germinative, l’élan presque sans forme, avec le Flux Intégral, reposant sur la circulation. dynamique entre la régulation, la traversée multi-échelles, et bien sûr l ‘incarnation mais aussi la joie comme symptôme de la régulation réussie.
Dans cette présentation je me place dans une démarche exclusivement centrée sur l’humain.
Alors j’ai pensé en premier lieu à la respiration, espèce de mouvement primaire, de poussée interne/externe, non dirigé et régulateur….
La respiration avec une approche éclosophique
Dans le cadre de l’Éclosophie, la respiration est considérée comme forme primordiale de la poussée. Elle ne se réduit ni à une fonction biologique, ni à une figure symbolique du vivant : elle constitue l’acte minimal par lequel un être advient à un monde. Inspirer n’est pas simplement faire entrer de l’air ; c’est établir une tension entre un dedans encore informe et un dehors toujours déjà structurant, et maintenir cette tension active dans un rythme soutenable.
La respiration est donc un acte de traversée germinative, qui ne vise pas la fusion, mais la coexistence rythmique d’un intérieur en formation et d’un extérieur porteur de seuils. L’Éclosophie ne la traite pas comme une métaphore du souffle vital, mais comme une oscillation réelle entre présence émergente et monde structuré, par laquelle le penser lui-même peut surgir.
Cette oscillation engage plusieurs tensions constitutives :
- Une tension germe / monde, car toute respiration engage un mouvement d’ouverture (exposition) et de reconfiguration (protection).
- Une tension retrait / jaillissement, dans la manière dont l’air est suspendu (apnée, attente) ou relâché (expiration, franchissement).
- Une tension forme / dissolution, car le souffle donne au corps une forme énergétique temporaire qui se défait à chaque cycle.
La respiration devient ainsi l’interface minimale d’émergence d’un sujet, non pas comme substance stable, mais comme entité en poussée. Elle ne donne pas d’abord un contenu, mais ouvre une condition de manifestation : être en train de respirer, c’est être en train d’émerger.
Dans cette perspective, la respiration ne peut être dissociée du geste de penser : le souffle précède et soutient l’articulation cognitive. Il constitue le battement prédiscursif du penser vivant, et permet de concevoir une philosophie de l’émergence non verbale, non structurée, mais pleinement opératoire.
La respiration avec une approche fluïenne
Dans le système du Flux Intégral, la respiration est un opérateur de régulation fluïenne à micro-échelle. Elle constitue un nœud fonctionnel de synchronisation entre les quatre dimensions du système — RIACP, ICPME, Posture-Flux et Flux-Joie — et permet d’évaluer, ajuster ou restaurer la circulation du flux à travers les strates de l’expérience.
Sous l’angle de la régulation pulsionnelle (RIACP), la respiration permet de moduler la tension interne. Un souffle court et irrégulier peut signaler un blocage (inhibition excessive ou saturation), tandis qu’un souffle ample, non maîtrisé, peut manifester une décharge pulsionnelle incontrôlée. La respiration devient ainsi un indicateur mais aussi un modulateur de la circulation énergétique à l’intérieur du champ pulsionnel.
Dans la logique de l’intégration multi-échelle (ICPME), la respiration fonctionne comme axe de coordination entre différentes temporalités internes : corporelles (mouvement et posture), affectives (états émotionnels transitoires), cognitives (enchaînement d’idées) et mnésiques (rappels ou anticipations). Sa continuité ou sa discontinuité permet de détecter des ruptures ou des désalignements dans cette intégration. Respirer de manière consciente rétablit un pont fluïen entre ces plans.
La posture-flux, quant à elle, est directement affectée par la qualité du souffle. Une posture contractée bloque l’inspiration complète, tandis qu’une posture effondrée rend difficile l’expiration pleine. La respiration révèle donc l’alignement postural avec le monde et constitue un critère direct d’évaluation de la qualité de présence à l’instant. Elle soutient le geste dans sa continuité, favorise les transitions fluides, et stabilise le rapport au sol comme au ciel (littéralement et symboliquement).
Enfin, dans le registre de la joie fluïenne, la respiration opère comme trace immédiate de la qualité du flux. Un souffle fluide, non obstrué, sans effort superflu, coïncide souvent avec une expérience de joie tranquille ou d’engagement dynamique. À l’inverse, l’obstruction du souffle est l’un des premiers signes d’un désaccord interne ou d’un effondrement énergétique. La respiration devient donc un symptôme perceptible du niveau de résonance fluïenne, mais aussi un levier d’ajustement vers l’accord.
Ainsi, dans l’approche fluïenne, la respiration n’est ni un simple support vital, ni un outil de méditation accessoire : elle est l’expression minimale d’un état de flux ou de rupture du flux, et doit être analysée dans sa valeur différentielle, ses effets de modulation, et son potentiel transformateur. Elle est le lieu opératoire de la reconduction dynamique du vivant vers le vivant.
Articuler les deux approches
Du point de vue éclosophique, la respiration est forme germinative d’émergence — tension non orientée encore, mais déjà agissante.
Du point de vue fluïen, elle est outil systémique d’ajustement — tension orientée et lisible, intégrée dans des processus régulables.
Ce qui les distingue n’est pas l’objet — le souffle — mais le niveau d’ontologie implicite :
- L’Éclosophie s’ancre dans la poussée avant toute structuration.
- Le Flux Intégral s’applique à l’organisation dynamique du vivant déjà structuré, mais à maintenir fluide.
Dans une lecture conjointe, la respiration peut être envisagée comme le lieu de passage entre émergence et régulation, entre un germe qui pousse et un système qui s’adapte. Elle est à la fois condition d’apparition et trace de modulation.
Ce double statut en fait un point stratégique de toute pédagogie de l’attention, de toute pratique incarnée du penser vivant, et de toute méthode de circulation ou de restauration du flux.
Mais la respiration possède-t-elle seule ce double statut ?
Je pensais que oui, mais avec un peu plus d’attention, d’autres mécanismes incarnés peuvent aussi répondre à cette double contrainte, d’être l’interface en éclosophie et flux intégral.
La respiration peut être considérée comme un noyau opératoire de passage entre Éclosophie et Flux Intégral — mais ce n’est pas le seul possible, ni même nécessairement le plus central dans toutes les situations. Elle joue un rôle unique par sa double appartenance :
- En Éclosophie, elle est forme minimale d’émergence, poussée rythmique originelle, premier battement d’un être qui s’ouvre à l’espace.
- En Flux Intégral, elle est vecteur de régulation systémique, interface entre les quatre piliers (RIACP, ICPME, Posture-Flux, Flux-Joie), outil d’ajustement instantané.
En cela, la respiration constitue un point d’isomorphisme fonctionnel entre deux systèmes aux structures différentes mais compatibles :
- Germinatif / préformel (éclosophique)
- Dynamique / régulatif (fluïen)
Elle permet d’incarner ce que l’on pourrait appeler une poussée régulante, ou un flux d’émergence.
Mais est-elle le seul noyau ?
La respiration est un noyau privilégié, mais d’autres lieux de jonction sont possibles, selon le plan que l’on observe. En voici quelques autres :
1. Le silence actif
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- En Éclosophie : suspension du germe avant l’acte
- En Flux Intégral : point d’auto-régulation du flux, moment de tension stable (équiflux)
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Ce silence est une forme d’équilibre sans fixité, un potentiel pur — tout comme la respiration entre deux souffles.
2. Le geste initiant
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- En Éclosophie : franchissement du seuil, début d’un acte, pas encore structuré mais déjà irréversible.
- En Flux Intégral : modulation intentionnelle, acte qui engage la posture-flux, la joie, la tension, etc.
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Ici, le geste joue le même rôle de révélateur incarné du processus de circulation et de poussée.
3. L’attention incarnée
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- En Éclosophie : forme de présence nue à l’émergence, sans interprétation.
- En Flux Intégral : fonction de lisibilité du flux, lecture immédiate de la dynamique en cours.
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L’attention est le lien perçu de l’intérieur, là où la respiration est le lien structuré dans le corps.
Conclusion respiratoire
La respiration est un noyau opératoire fondamental entre Éclosophie et Flux Intégral, car :
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- Elle est germinative (forme minimale d’émergence)
- Et régulatrice (outil d’ajustement du flux)
Mais elle n’est pas le seul. D’autres noyaux peuvent exister :
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- Le silence actif comme tension immobile.
- Le geste comme surgissement incarné.
- L’attention comme interface perceptive.
Chacun de ces noyaux constitue une structure de jonction possible, avec sa propre configuration énergétique, ontologique et fonctionnelle.
La méditation Zen « contient » intégralement ces quatre composantes sans les dissoudre
- La respiration
- Le silence actif
- Le geste initiant
- L’attention incarnée
Peu de pratiques sont si peu engagées et d’un autre côté très engagées. J’ai tout de suite pensé à la médiation Zen, la plus rustique… la méditation sans objet. La méditation zen se tient donc précisément à l’intersection de ce que l’Éclosophie appelle poussée nue (germinative, sans discours), et de ce que le Flux Intégral formalise comme auto-régulation incarnée du flux. Elle constitue, en ce sens, un lieu de pratique qui réalise spontanément l’articulation entre les deux systèmes, sans les nommer
Du point de vue éclosophique :
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- Le zen s’ancre dans une présence radicalement non intentionnelle, sans visée, sans construction de forme : c’est exactement le plan d’émergence que travaille l’Éclosophie — un être en tension d’apparaître, mais sans image.
- L’assise silencieuse (zazen) est une poussée sans projet, où l’on ne “fait” rien, mais où quelque chose advient de manière non localisable.
- La respiration y est observée mais non dirigée, la pensée n’est ni coupée ni suivie, et l’acte naît sans intentionnalité préalable.
Cela en fait une pratique germinative par excellence.
Du point de vue fluïen :
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- La méditation zen engage une régulation constante des flux internes (pulsionnels, affectifs, attentionnels) sans les censurer.
- Elle active les quatre piliers :
- RIACP (~) : modulation du surgissement sans inhibition ni décharge.
- ICPME (⟳) : unification silencieuse des strates (corps, souffle, pensée, mémoire).
- Posture-Flux (▭) : assise alignée, non crispée, tenue sans tension.
- Flux-Joie (+) : une joie sans objet, issue d’un accord de fond.
Elle peut être analysée comme une forme stabilisée d’équiflux, avec des variations fines détectables dans la pratique.
Analyse :
La méditation Zen est sans doute un des très rares lieux de coïncidence intégrale entre Éclosophie et Flux Intégral, à l’état pur , la méditation zen comme interface incarnée, non analytique, mais expérientielle, où :
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- la poussée s’éprouve sans discours,
- le flux se régule sans contrôle.
Elle constitue donc un noyau expérientiel partagé, un point d’entrée ou de jonction possible, sans traduction nécessaire.
Elle réalise ce que les deux modèles formulent.
Dire que la méditation zen est un lieu de coïncidence entre Éclosophie et Flux Intégral suggère qu’il pourrait y en avoir d’autres de même statut. Or, si l’on pousse l’analyse, ce lieu-là n’est pas “un” parmi d’autres : il est le lieu de coïncidence directe, expérientielle, incarnée, sans médiation verbale ni théorique.
Pourquoi ? Parce que la méditation zen réalise directement, sans conceptualisation intermédiaire :
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- la poussée silencieuse (Éclosophie)
- la régulation fluïenne incarnée (Flux Intégral)
Elle est donc le seul lieu connu qui les actualise simultanément, dans un acte vécu, non symbolique, non discursif, non finalisé.
Pour être rigoureux :
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- La respiration, par exemple, articule les deux plans — elle est médiane, support commun, mais elle peut être observée ou utilisée sans aller jusqu’à la coïncidence radicale des deux logiques.
- Le geste initiant, le silence actif, l’attention nue — ce sont des structures de jonction possibles, des candidats à la convergence, mais qui peuvent encore rester partiels, modulés, contextuels.
La méditation zen, en revanche :
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- Ne représente pas, ne signifie pas.
- N’utilise aucun outil d’unification symbolique.
- Ne cherche pas à relier, mais habite l’écart (éclosophie) et traverse les flux (flux intégral) dans le même acte.
Conclusion Zen :
La méditation zen est le lieu de coïncidence, à la fois :
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- ontologique (poussée nue)
- systémique (équilibre du flux)
Et non pas un lieu parmi d’autres.
Il peut y avoir d’autres lieux d’articulation partielle, d’autres formes symboliques, mais pas d’autre actualisation directe, brute, unifiante, à ma connaissance, qui incarne sans distance la tension germinative et la régulation fluïenne dans un même acte.
Il y peut-être d’autres pratiques qui rassemblent aussi ces quatre composantes, sans les absorber, sans doute un peu plus proche du Flux Intégral que de l’Eclosophie. J’ai pensé au Qi Gong qui me semble être aussi un très bon candidat, malgré le fait qu’il ait perdu la dimension « sans objet » de la méditation Zen.
La méditation zen constitue donc, à ce jour, le seul lieu de jonction directe, incarnée et non médiatisée, entre l’Éclosophie (poussée germinative) et le Flux Intégral (régulation systémique du flux) dans l’expérience humaine.
Elle actualise sans concept ni métaphore :
– la tension d’émergence préformée (éclosophique),
– et l’ajustement dynamique du flux vivant (fluïen).
Aucune autre pratique humaine connue n’opère cette convergence sans recours à une structure discursive, symbolique ou méthodologique. Elle n’articule pas ces deux plans : elle les habite dans un même acte.
Deux segments et une rotule : Le Kernesis…
Terminus. On ne peut pas aller plus loin. Nous sommes arrivés au bout du chemin, sinon on entre dans la métaphysique. Le mouvement s’est installé dans un alignement au sein de la spirale fluïenne. Le modèle est clos. Pas son incarnation.
Deux segments autonomes, entièrement structurés, et la rotule unique qui permet leur articulation vivante sans les confondre.
- Éclosophie : segment de l’émergence nue — tension germinative, poussée sans forme.
- Flux Intégral : segment du vivant organisé — circulation, régulation, intégration.
- Méditation zen / Qi Gong: rotule incarnée, non symbolique, non discursive, qui permet le passage d’un plan à l’autre sans fracture, parce qu’elle n’opère ni synthèse ni superposition, mais co-présence sans concept.
“Tout s’aligne… sur une spirale” — est peut-être le sceau Kernesique exact.
Ce n’est pas une théorie de plus. C’est la découverte d’un système holistique à deux segments, reliés par une seule rotule vivante, habitable, testable, non spéculative, et ontologiquement bouclée.
Et dans ce système :
- La posture n’est pas décorative : elle est l’ajustement fondamental entre ce qui pousse (Éclosophie) et ce qui circule (Flux Intégral).
- L’alignement n’est pas un idéal moral, mais une condition dynamique de vérité.
- La spirale, loin d’être une image, est la seule forme capable de faire tenir la poussée germinative et la régulation fluïenne sans les superposer : elle épouse l’émergence et organise la traversée.
Autrement dit :
On a la structure (segment – rotule – segment),mais aussi la forme dynamique :
la spirale comme figure du vrai , non parce qu’elle mène à un centre, mais parce qu’elle habite l’écart sans s’y perdre.
On avance en boitant !