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Philosophie - Page 8

  • Mon avis sur " Les métamorphoses du calcul" de Gilles Dowek

    les métamorphoses du calcul.jpgTrois jours de stage et six heures de train pendant lesquelles j'ai dévoré ce livre. Gilles Dowek a reçu le Grand Prix de Philosophie 2007 décerné par l'Académie Française. Je ne connais pas les autres lauréats mais pour ce qui est de ce livre je pense que la philosophie a vraiment trouvé du grain à moudre pour quelques années dans ces métamorphoses numériques.

    Au début du livre, j'étais en territoire connu mais j'ai déjà lu beaucoup de livres sur l'histoire des mathématiques alors j'ai pensé, tiens encore une histoire des maths. C'est vrai pour le tout début du livre mais la première partie est nécessaire à quiconque ne maîtrise par bien ce sujet afin d'introduire la logique des prédicats.

    Et puis dès la cinquantième page, je vois apparaître mon copain Kant et ses jugements synthétiques à priori. Alors je commence à me dire que ça va cogner. On pourra d'ailleurs lire le documents suivant : La philosophie des mathématiques de Kant . Quel est le problème?

    Kant propose deux types de jugements :

    Analytique si une proposition est vraie par définition comme "un triangle à trois cotés".

    Synthétique si la propostion est vraie sans que ce soit une définition. Par exemple "La terre a un satellite" . Ce jugement peut être a priori si on peut le concevoir dans la tête ou a poseriori s'il faut une intéraction avec la nature.

    Les jugements analytiques semblent quant à eux exclusivement à priori.

    Pour Kant le raisonnement se situe dans les jugements synthétiques à priori mais c'est là que ça coince par ce que ce n'est pas aussi simple que ça!

    Le "simple", 2+2=4 pose problème. Frege va d'ailleurs montrer que 2+2=4 peut se déduire de la définition des nombres entiers et doit être classé parmi les jugements analytiques et non parmi les jugements synthétiques à priori.

    On voit déjà poindre à l'horizon une problématique philosophique centrale concernant les mathématiques, leur constitution et leur évolution. Se constituent-elles au sein d'elles mêmes auquelles cas elles sont analytiques à partir des simples définitions. Relèvent-elles du jugement synthétique à priori ou doivent-elles aller chercher des éléments dans la nature pour se construire.

    Il est inutile de vouloir répondre simplement à ces questions qui dépendent de l'évolution des mathématiques elles mêmes dont le pivot central est certainement la thèse de Church des années 30, affirmant l'identité entre la notion de calcul "informatique et la notion "commune " de calcul que nous avons.

    En avançant encore un peu dans le livre on voit apparaitre l'idée selon laquelle Démonstration = Algorithme et puisque la thèse de Church nous donne Algorithme = Calcul, on a donc l'identité Démonstration = Calcul. Il devient donc nécessaire de distinguer les notions de démontrable et d'explicatif, ce qui est loin d'être facile pour les mathématiciens. La longueur des démonstrations est aussi abordée, avec par exemple la problèmatique suivante : Peut-on démontrer qu'un problème démontrable possède une démonstration "courte"?

    Philosophiquement le sujet est dense!

    D'autant qu'à la fin de l'histoire une surprise de taille nous attend avec un retour nécessaire à la nature... Mais je n'en dis pas plus.

    Ce qui m'a aussi passioné dans le livre est le traitement du rapport du mathématicien et de la machine, de ce nouvel outil qui lui est maintenant indispensable. L'auteur s'interroge aussi sur le fait que l'ordinateur du mathématicien est le même que celui de Mme Michu, sauf bien sûr si les calculs sont vraiment très très longs et demandent un super-calculateur pour pouvoir être faits  en un temps "raisonnable". Il est intreressant de comprendre quelles est la place de l'ordinateur-machine à coté du mathématicien-humain.

    J'ai extrait quelques courtes citations vers la fin du livre qui me semblent assez explicites sur les métamorphoses du calcul qui est le sujet du livre et donc des mathématiques elles-mêmes:

    En 1976, les mathématiques sont entrées dans la période instrumentée de leur histoire. Les instruments utilisés par les mathématiciens, ne sont pas des instruments qui prolongent les facultés de nos sens, mais qui prolongent les capacités de notre entendement: notre faculté de raisonner et surtout, de calculer. ( p 182 )

    L'utilisation d'instruments commence, de même à changer, les mathématiques. ( p 182 )

    La maquette sur laquelle on fait l'essai est donc une machine à résoudre un problème mathématique,[...] (p 188)

    L'entrée des mathématiques dans leur ère instrumentée incite donc, non à accorder une confiance excessive dans les instruments utilisés, mais à restreindre prudemment la confiance parfois exagérée, que nous avons en nous-mêmes: nous aussi nous pouvons faire des erreurs. (  p 191 )


    Podcast de Gille Dowek sur le livre et sur Canal-Académie

     

    Pour compléter :

    Des p'tits problèmes de coloriage ( autour du théorème des quatre couleurs)


  • La classification mathématique des textes

    Je viens de trouver un document de 8 pages très intéressant de Dominic Forest et de Jean-Guy Meunier (UQUAM) sur le sujet de l'utilisation des mathématiques en vue de la classification du contenu d'un texte. Une expérimentation sur le Discours de la Méthode de Descartes est donnée en exemple.

    C'est ICI

  • La vulgarisation, un art haut en couleurs

    Arche_arc_en_ciel.jpgSi vous êtes un habitué de ce blog depuis sa création, vous n'avez pas pu manquer le fait que certains sujets me tiennent plus à coeur que d'autres: Gödel, la philosophie, l'art, les actualités mathématiques, l'épistémologie, l'enseignement des mathématiques, les outils web, et aussi la Vulgarisation avec un grand V que j'élève au rang d'art majeur.

    Les lieux communs sans cesse revisités et les images préformées nous laissent souvent penser que la vulgarisation tient plus du rabotage grossier que de l'art. Ce serait la discipline dans laquelle les aspérités qui feraient mal au plus grand nombre seraient éliminées pour laisser place à un objet brut, lisse, édulcoré, au contenu aseptisé en vue de son assimilation par la masse sans indigestion. Personnellement, ce n'est pas du tout comme cela que je vois les choses. Pour moi vulgariser c'est comme opérer la décomposition de la lumière blanche avec un prisme. A l'une des extrémités du spectre on trouve les ultra-violets, qui correspondraient à l'hyperspécialisation, tellement fermée que les connaissances ne peuvent se transmettre qu'entre pairs. Ni en haut, ni en bas, le discours du spécialiste est un parmi les autres sur un sujet donné. Il possède ses exigences, répond à un besoin, comme toutes les composantes colorées de la lumière décomposée. A l'autre extrémité du spectre se trouvent les infra-rouges. On pourrait les associer  au socle d'une pyramide au dessus de laquelle toutes les strates de la vulgarisation et des connaissances les plus spécifiques peuvent s'empiler. Établir cette base, retrouver les infra-rouges lorsque l'on est un spécialiste pointu des ultra-violets demande les plus hautes compétences. La vision  acérée doit s'ouvrir de la façon la plus vaste pour voir les moindres détails, y compris les cailloux du chemin sur lequel on marche. Il faut enlever ses lunettes de travail pour voir les couleurs réelles et les décrire.

    De mon point de vue, peu de personnes possèdent ces capacités de vulgarisation, de simplifier sans dénaturer, de pouvoir approfondir à toute occasion de façon graduée, de pouvoir surfer et plonger à loisir dans le vaste océan des connaissances, et tout particulièrement celui des mathématiques qui ne se prète guère à l'exercice et demande d'autant plus de dextérité.

    Lire la suite

  • Le prix Leibniz

    Dans mon article précédent, qui a été  inspiré par la possible disparition de la géométrie dans les programmes de seconde du lycée, je posais la question de savoir si l'homme était aujourd'hui "sapiens absolutis", c'est à dire s'il développe encore seul et de façon absolue les outils de la recherche scientifique ou bien s'il est devenu "numericus relativis", c'est à dire, qu'en gros il ne peut dorénavant que faire intervenir le monde numérique dans toute avancée de la connaissance, le savoir nouveau n'étant presque plus accessible directement mais est impérativement médiatisé par la machine et le monde numérique.

    La question peut sembler un peu futuriste posée comme cela. Elle me parait cependant  être actuellement, au coeur de la problématique de la transmission du savoir scientifique dont on voit en ce moment l'extrême tension centrée sur le contenu du programme de mathématiques de seconde ainsi que dans l'absence d'une philosophie de la transmission dans une société technologiquement avancée. Cela ne fait qu'accroître la confusion générale, laissant sans réponse ou sans débat des questions fondamentales concernant ce que l'on doit transmettre aux générations futures, comment on doit le transmettre et comment on peut l'évaluer. Ceci est d'autant plus regrettable que l'école qui est déjà au coeur des tensions sociales se retrouve ici aussi bien seule, aucune réponse ou aide solide ne venant de l'extérieur, et elle doit répondre à l'aide des ses seuls petits leviers du contenu des programmes de science et de l'organisation interne des établissements à ces questions majeures.

    Leibniz, grand mathématicien et philosophe,  est éponyme d'un prix très peu connu. Et pour cause, les 100 000 $ de récompense n'ont pas encore été distribués. Ce prix est en fait destiné à distinguer un ordinateur, ou plus exactement un programme d'ordinateur. Mais pas n'importe lequel, ce sera un programme qui permettra de trouver un théorème permettant de faire une avancée significative dans le domaine des mathématiques ( ATP: Automatic Theorem Proving ) tel que décrit comme suit :

    "The quality of the results should not only make the paper a natural candidate for publication in one of the better mathematical journals, but a candidate for one of the established AMS prizes (e.g., Cole, Veblen) or even a Fields Medal. The proofs should not be less sophisticated than those of classical theorems when they first made their appearance--such as, for instance, the Fundamental Theorem of Algebra or one of the fixed point theorems (Brouwer, Leray-Schauder). Though obviously difficult to define precisely, the role of the computer program in the argument should not be mere auxiliary. Novel techniques, meaningful and original definitions, suggestions of interesting intermediate results, perspectives of wider application--any one of these contributions, and others that cannot be foreseen today, would meet the criteria."

    Alors sommes nous loin de voir passer dans nos flux RSS, l'attribution du prix Leibniz à telle ou telle université? Personnellement, je ne sais pas, certainement oui, mais l'horizon semble se rapprocher à grands pas. Par exemple, l'analyse des oscillations d'un simple pendule par un ordinateur n'ayant aucune connaissance préalable en physique et en géométrie (tiens ça me rappelle quelques chose...) a déjà permis d'extrapoler les lois du mouvements.

    Ceci semble étayer l'hypothèse que j'ai émise, à savoir qu'homo sapiens absolutis tend à évoluer vers homo numericus relativis...

    Sacré Darwin!


    Source:

    Slate.fr

    Pour compléter :

    The Fredkin Challenge Match

    Vers la robotisation des découvertes scientifiques

     

    Prigioniero di me stesso

     

    Photo: Emandir