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philosophie - Page 5

  • La mathématisation du temps épuise-t-elle la question du temps?

    Conférence donnée par Etienne Klein : ICI

  • Descartes et l'intellection

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    Quel que soit le maître, il vient un moment où l’élève est tout seul en face du problème mathématique; s’il ne détermine son esprit à saisir les relations, s’il ne produit de lui-même les conjectures et les schèmes qui s’appliquent tout comme une grille à la figure considérée et qui en dévoileront les structures principales, s’il ne provoque enfin une illumi­nation décisive, les mots restent des signes morts, tout est appris par cœur. Ainsi puis-je sentir, si je m’examine, que l’intellection n’est pas le résultat mécanique d’un procédé de pédagogie, mais qu’elle a pour origine ma seule volonté d’attention, ma seule contention, mon seul refus de la distraction ou de la précipitation et, finalement, mon esprit tout entier, à l’exclusion radicale de tous les acteurs exté­rieurs. Et telle est bien l’intuition première de Descartes: il a compris, mieux que personne, que la moindre démarche de la pensée engage toute la pensée, une pensée autonome qui se pose, en chacun de ses actes, dans son indépendance plénière et absolue.

     

    (…) Pourtant l’enfant qui applique sa liberté à faire une addition selon les règles n’enrichit pas l’univers d’une vérité nouvelle; il ne fait que recommencer une opération que mille autres ont faite avant lui et qu’il ne pourra jamais mener plus loin qu’eux. C’est donc un paradoxe assez frappant que l’attitude du mathéma­ticien; et son esprit est semblable à un homme qui, engagé dans un sentier fort étroit où chacun de ses pas et la position même de son corps seraient rigoureusement conditionnés par la nature du sol et les nécessités de la marche, serait pourtant pénétré par l’inébranlable conviction d’accomplir librement tous ces actes. En un mot, si nous partons de l’intellection mathématique, comment concilierons-nous la fixité et la nécessité des essences avec la liberté du juge­ment.


    La suite de cette note sur le blog Jadislherbe : ICI, extrait de  Introduction à des textes choisis de Descartes (1946) par Jean-Paul Sartre.


    Bibliographie de Descartes : ICI

    Articles de Pierre Guenancia : ICI

  • Conversation autour de l'intuition en mathématiques

    26a92d3c467768b5ef6694fa3befad72.jpgDans le Petit Robert, on peut trouver la définition suivante du mot intuition : « Forme de connaissance immédiate qui ne recourt pas au raisonnement. » L’intuition occupe-t-elle une place en mathématiques, discipline de rigueur par excellence, où toute affirmation s’accompagne d’une démonstration ?

    Témoignages sur le phénomène de l’intuition

    Bien qu’il soit discutable de parler de réelle connaissance à ce stade, l’histoire regorge de témoignages de mathématiciens racontant des expériences durant lesquelles un résultat ou une solution à un problème se sont imposés spontanément à l’esprit, sans raisonnement préalable.

    Finalement, il y a deux jours, j’ai réussi… Comme en un éclair subit, l’énigme se trouva résolue. [Gauss]

    Au moment où je mettais le pied sur le marchepied, l’idée me vint, sans que rien dans mes pensées antérieures parût m’y avoir préparé. [Poincaré]

    Ayant été réveillé très brusquement par un bruit extérieur, une solution longuement cherchée m’apparut immédiatement, sans le moindre instant de réflexion de ma part. [Hadamard]

    Voilà comment commence la note " L'intuition en mathématiques" sur le blog de Bao Long Principia - Histoire et Philosophie des mathématiques.

    La suite de la note est ICI

    Une fois la lecture de la note terminée j'ai envoyé un commentaire et je vous livre la conversation qui a suivi.

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    Olivier

    Ne parlant que pour moi, j'ai distingué deux types d'intuitions de natures très différentes, toutes aussi spontanées: l'une que j'appellerai de "direction" celle qui ouvre un chemin nouveau, une voie inexplorée et l'autre que je nommerai de "synthèse", c'est celle qui en un instant rapproche des éléments auparavant épars ou oubliés. Ces deux intuitions permettent une modification complète des chemins du raisonnement et donnent lieu à cette sorte d'explosion "illuminative". Ces deux types d'intuition peuvent travailler de concert et se mélanger au raisonnement. Des allez et retour peuvent se produire. L'intuition n'est pas de même nature que le raisonnement, elle n'est ni avant, ni après,ni moins sûre, elle est à tout simplement à coté du raisonnement.


    Bao Long

    Votre distinction de ces deux formes d'intuition est assez naturelle. Poincaré a ajouté encore d'autres distinctions, il parle (en d'autres mots) de :

    L'intuition empirique (exemple : "par un point, on ne peut mener qu'une parallèle à une droite").

    L'imagination (exemple : Poncelet "imaginait" que des propriétés vraies pour des hyperboles aux asymptotes réelles, restent vraies pour l'ellipse aux asymptotes imaginaires... c'est contraire aux sens, donc à l'intuition précédente).

    L'intuition d'induction (ce qui est vrai pour des cas restreints, reste vrai pour des cas généraux; c'est différent de l'exemple précédent car les ellipses ne généralisent pas les hyperboles). Cette intuition justifie les preuves par induction.

    L'intuition du nombre pur (avec l'exemple "deux quantités égales à une troisième, sont égales entre elles").

    Finalement, tout cela forme un riche mélange prêt à servir chez tout mathématicien.

    Olivier

    Merci de me répondre aussi vite et aussi clairement. Si je me suis permis de vous envoyer un commentaire c'est que l'idée de "synthèse" ne me paraissait pas bien transparaître mais peut-être n'ai je pas été assez précis et n'ai je pas assez approfondi votre note. J'associe au mot "synthèse" l'idée de mettre ensemble, de lier des choses, ce  que l'esprit ne fait pas naturellement. L'intuition provient dans ce cas, du simple fait de permettre à un évènement intellectuel de se produire, de laisser une place pour qu'il survienne. Je dirai dans ce cas que l'intuition n'est pas un "acte" mais un espace mis à disposition de la synthèse afin qu'elle se réalise. C'est peut-être naïf mais il ne me semble pas avoir vu cela dans l'approche des mathématiciens que vous avez cité: L'intuition comme "permission", entièrement passive, un espace ou un temps permettant une "fusion", un rapprochement décisif, un contact.
    Il serait intéressant de demander à Alain Connes ce qu'il y a après le trou... Son remplissage ou un mur troué a travers lequel on voit la lumière?

    Bao Long

    Pourtant, il me semble que l'intuition dont il est question dans l'article est compatible avec l'intuition de synthèse que vous citez. En effet, quand vous la décrivez comme un espace permettant "une fusion, un rapprochement décisif, un contact", cela me semble bien correspondre au fait que l'inconscient cherche en réalisant des combinaisons d'idées. Parfois, une combinaison remarquable, c.-à-d. (pour reprendre vos mots) une fusion, un rapprochement ou un contact remarquable entre idées se réalise et il se produit alors une illumination.

    D'ailleurs, une synthèse se fait plus facilement lorsqu'on a plus de recul, ce qui est le cas de l'inconscient par rapport au conscient. (Bien sûr, tout ceci est informel : je suis loin d'être psychologue.)

    La fécondité d'une intuition varie selon les problèmes et au sein de chaque problème. Certaines ouvrent une piste nouvelle (intuition de direction), d'autres apportent un éclairage sur un savoir existant (intuition de synthèse). Il en existe probablement d'autres, je pense par hasard à une intuition que j'appellerais "de résolution" : celle que l'on a lorsqu'on réalise LA manipulation à faire dans un problème pour en débloquer la solution en un instant (et le reste du travail n'est que formalité).


    Pour Alain Connes, je serais tout aussi curieux que vous de lui poser la question.

    Olivier

    Nous sommes en effet d'accord. C'est peut-être cette idée d'inconscient qui me gênais, une sorte de "ça se passe malgré moi" alors que j'y vois plutôt au contraire, une entreprise consciente mais impossible à déclencher consciemment, comme de laisser la porte ouverte pour que "ça" se produise. Un peu comme le serait celle d'une maison qu'on laisserait ouverte et l'on attendrait un animal farouche dont la venue ne dépendrait pas de nous, mais c'est bien nous qui avons entrouvert cette porte. Cette idée ne me parait pas tellement compatible avec l'idée que je me fais de l'inconscient, sorte de machine qui travaille quand le conscient ne travaille pas. Je n'ai jamais été  très copain avec l'inconscient, il faut dire...

    Bao Long

    Si l'inconscient fonctionnait "malgré soi", cela me gênerait aussi. Il semble cependant que le conscient joue un rôle fondamental dans l'affaire, en particulier lors de l'étape nécessaire au démarrage de l'inconscient : l'étape de préparation où le conscient étudie et sèche sur le problème. Je ne l'ai peut-être pas assez souligné (contrairement aux auteurs de mes sources) : un travail conscient est nécessaire pour maximiser la taille des "données" disponibles sur le problème. Après seulement, l'inconscient peut travailler à son tour sur ces données avec un peu plus de recul que le conscient.

    Ainsi, c'est bien le travail conscient qui met l'inconscient dans de bonnes prédispositions, qui "ouvre la porte pour laisser venir l'animal farouche". On n'est pas sûr que l'animal viendra, mais plus la porte est ouverte, plus on a de chances qu'il arrive...

    Illustration serge Secconi

  • Les maths résistent au désenchantement du monde !

    66.66%, pourquoi ne pas dire directement 2/3. Et s'il s'agissait de bulletins de vote, n'importe quel homme politique élu démocratiquement seféliciterait d'une victoire historique. Et c'est bien ce nombre, 2/3, dont il s'agit !

    Les résultats du sondage ( toujours arrêté aux alentours d'une trentaine de réponses ) sont sans appel. 2/3 d'entre nous pensent que les "objets" mathématiques sont indépendant de nous. Ainsi, dans une période où l'on nous assène que le monde est désenchanté par la science, les maths font figure de résistants ! Quelle victoire, les mathématiques rejoignent Zeus, Jupiter et tous les autres, elle prennent place au beau milieu des hautes sphères célestes dans lesquelles elles baignent. Au dessus de nos têtes flotte un océan mathématique. Pas de pollution, juste des objets parfaits, idéaux. 2/3 d'entre nous sont des idéalistes platoniciens.

    Pour le 1/3 restant les mathématiques sont un outil développé par l'homme. Ils font preuve d'un certain pragmatisme considérant que si l'homme n'avait pas existé, les mathématiques n'en seraient pas là. Loin de l'idéalisme platonicien, ils sont plus terre à terre mais saluent sans doute le bel édifice construit entièrement de la main de l'homme.

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  • Rationalités comparées des contenus mathématiques - Ibn al Haytham dit Alhasen et al Tusi

    La philosophie dans le champ de l'histoire des sciences par Michel Paty. Sur les travaux de Roshi Rashed.

    L'intégralité  du texte en PDF : ICI

    Dans le document précédent, Michel Paty s'appuie sur les travaux de Roshi Rashed sur l'histoire des mathématiques arabes pour  se pencher sur la question des changements et des innovations, sur leur rapport aux conceptions et traditions antérieures, en vue d'apporter des éléments à ce que pourrait être, pour ce domaine, une philosophie de la découverte au sens propre.

    J'ai choisi, plutôt que de paraphraser le texte, d'extraire quelques morceaux choisis et d'y inclure quelques liens, dont la seule lecture ne pourra remplacer celle de l'intégralité du texte.

    60e3a9fef1b39ceb8dcc9c130011f581.jpgLe problème des découvertes

    La notion de découverte et de nouveauté dans les connaissances est évidemment d'une importance première en histoire des sciences et, à cet égard, l'histoire des sciences arabes ne fait pas exception. Il est clairement établi désormais, notamment par l'œuvre de R. Rashed, pour l'histoire des mathématiques, que le champ des mathématiques arabes est fait de découvertes, et non seulement de traductions et de transmissions. Or il est désormais démontré que la science et notamment les mathématiques, bouge beaucoup entre le IXème et le XIIème siècle, au sud de la Méditerranée, sans qu'on puisse parler de révolution pour autant, sauf peut-être, on le verra, pour l'optique d'Ibn al-Haytham (dit Alhasen),  encore qu'elle ait été masquée par la persistance d'une manière traditionnelle de présentation. Il faudrait peut-être d'ailleurs examiner sous cet angle d'autres innovations relatives à l'algèbre, à la géométrie algébrique : s'agit-il de révolutions au sein de la tradition ? Mais, de fait, la catégorie de « science normale » se révèle, ici comme en bien d'autres situations, inutilisable.

    Par ailleurs, la question de la découverte est fort peu prise en compte en philosophie, pour des raisons diverses, mais dont une raison est la difficulté inhérente à la problématique de la « nouveauté » même, dont le concept semble se détruire de lui-même, assimilé dans la pratique et la reformulation dès sa première apparition. Il est fréquent que les savants qui innovent n'aient pas eux-mêmes conscience de la nature de leur innovation. L'importance d'un élément réellement nouveau apparaît surtout au niveau structurel d'un ensemble de modifications, comme on le verra sur le sujet qui nous retient aujourd'hui.

    ea0fdf814347cba3dc36fa1570d7af7b.jpgOn peut évoquer, parmi de multiples cas, celui de l'apparition de l'analyse locale et de la dérivée dans l'oeuvre d'al-Tusi, qui représente un important chaînon dans le développement de la géométrie algébrique après al-Khayyam, entre Appollonius et Descartes. Al Tusi instaure l'analyse locale et analytique des courbes, introduit l'utilisation des transformations affines, étudie les maxima d'une fonction au voisinage d'un point, et donne pour la première fois la forme de ce que l'on appellera plus tard la dérivée, en l'utilisant de façon systématique (c'est une dérivée muette, présente dans les faits, mais sans les dénominations, sans le concept). Un élément de nouveauté se trouve effectivement présent, mais comment le caractériser sans anachronisme ? Son importance passa (probablement) inaperçue sur le moment, bien qu'il ne s'agisse de rien de moins que de l'invention d'un nouvel objet mathématique. Elle est également inaperçue d'une approche historique a-posteriori qui prend son information et ses critères d'une tradition établie différemment.

    La question de la rationalité

    "La raison se construit dans les pratiques en lesquelles elle se reconnaît et elle se découvre elle-même en se construisant" Jean Ladrière

    Nous ne savons pas caractériser la raison d'une manière totalement analytique, bien que nous sachions comment elle fonctionne, à l'usage.

    Les philosophes actuels, s'ils constatent les changements dans les connaissances, ne les rapportent que très rarement à des modifications dans la structure de la raison elle-même, qu'ils auraient plutôt tendance à considérer comme immuable. Pendant des décennies l'on parlait, pour la dénier de "logique de la découverte".

    La raison reste encore elle-même difficile à penser en tant que structure mentale fonctionnelle et sujette à des modifications.

    La rationalité ne concerne pas seulement la rigueur ( qui se tient du côté de la logique ), mais aussi de l'intuition, par laquelle Poincaré considérait que le monde a à voir avec le réel, et qui est impliquée dans l'invention sans laquelle il n'y aurait pas de mathématiques.

    Ibn al Haytham

    Ibn al Haytham dégageait ainsi le problème de la propagation de la lumière de celui de la vision, en séparant les conditions respectives de l'une et de l'autre. [...] Il considéra la lumière non plus comme une émanation de l'oeil, comme dans la doctrine de l'antiquité du "rayon visuel", mais comme une entité (dans son vocabulaire aristotélicien, une "quantité substantielle" ou "accidentelle"), qui se propage des corps lumineux ou illuminés vers l'oeil.

    R. Rashed indique que dans cette nouvelle conception, "le rapport entre géométrie et optique est un isomorphisme de structure, et nullement une synthèse" comme on le concevait avant ce savant.

    Dans telle étude des problèmes solides dont il cherche les solutions par l'intersectionde coniques, où il s'interroge sur l'existence des solutions en étudiant le comportement à l'infini ( c'est à dire les asymptotes de l'hyperbole utilisée ), Ibn al-Haytham fait montre d'inventivité, qui modifie les données initiales du problème en les transformant, ouvrant ainsi la voie de solutions inédites.

    C'est chez Ibn al Haytham qu'apparaît la nécessité de justifier l'existence d'une solution après avoir résolu la construction, de "transformer la construction en preuve logique d'existence".

    Ibn al Haytham définit la droite comme "la ligne telle que si l'on fixe deux quelconques de ses points et si on la fait tourner, sa position ne change pas".

    Ibn al Haytham innove en mettant en jeu de nouveaux concepts comme l'intérieur et l'extérieur d'une courbe, la concavité ou la convexité, le comportement asymptotique, ainsi qu'une notion implicite mais effective, cell de continuité.


    Dans la conclusion

    Le rationnel n'est pas univoque et déborde largement le logique; il peut prendre, dans les modalités de compréhension, appui sur l'intuition intellectuelle, qui n'est pas formulable en termes explicites et qui porte sur des "conditions initiales" intellectuelles qui sont très différentes selon chacun.

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    Vizir hérétique mais philosophe d'entre les plus grands: Al-Tûsî vu par Ibn Taymiyya de Yahia Michot Oxford University ( PDF) : ICI