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Pensées - Page 9

  • La douce arrivée des blogs de maths dans le Réel

    Je passe 2 à 3 heures par jour en moyenne autour de mon blog, si ce n'est plus.

    Entre la consultation de mes flux RSS, le choix d'une information que je vais publier,  le choix du titre d'un billet, sa rédaction, le test de tel ou tel logiciel, la lecture d'un document d'une quarantaine de pages et de tous ceux que j'ai lu sans donner suite,  la consultation intégrale d'un site, les différents widgets que j'ai testés, tous ceux que j'ai abandonnés et les problèmes de mon PC, mon blog est entré dans ma réalité quotidienne comme pour d'autres, la pratique intensive d'un sport ou de toute autre passion.

    Ce ne sont pas moins dans mes placards, d'une dizaine de classeurs complets, qui se sont accumulés depuis deux ans que j'ai créé ce blog. Je fais encore partie de ceux qui ne peuvent pas encore lire un long document sur ordinateur, donc j'imprime les articles ou les fichiers PDF, je souligne, j'entoure et je mets des points d'exclamation dans les marges. Cette pratique va peut-être devenir d'un autre temps avec l'arrivée rapide du livre électronique.

    De mon point de vue, mon blog n'est vraiment pas virtuel. Il est même très exigeant et demande tel un tamagotchi, que je m'en occupe quotidiennement. Et comme ce qui est vrai pour moi, l'est souvent pour les autres, j'imagine  que le temps passé bénévolement à cette activité est du même ordre de grandeur pour les autres blogueurs qui alimentent le leur tous les jours. Quelques uns, trop rares à mon goût,  ont choisi de jeter leur dévolu sur les mathématiques! Ce qui veut dire que le sujet principal de leur publication est resserré autour des mathématiques, faute de quoi le titre du blog sonnera vite creux et les quelques lecteurs fidélisés à la force de clics de souris se volatiliseront  instantanément pour peut être ne jamais revenir !

    Mais la réalité de ces nouveaux objets numériques que sont les blogs n'est pas évidente pour tous. Au détour d'un sourire, l'interlocuteur du blogueur montre combien il est surprenant de se lancer dans ces amusements adolescents. Quel intérêt? Relayer des flux RSS thématiques, mais quelle drôle d'idée pense peut-être ce professeur de mathématiques qui n'y voit guère d'utilité dans sa pratique professionnelle. Rien de mieux qu'un vieux bon bouquin pour s'informer. Le blog: encore une mode qui s'arrêtera et puis ce tout numérique, c'est une nouvelle fois l'histoire du rétroprojecteur et des transparents qui se répète, ça passera bien avec le temps. A bien y regarder on fait toujours la même chose avec des outils différents...

    Lorsque je suis allé à Paris, à l'occasion de l'anniversaire d'un journal mathématique et que j'ai dit que j'éditais un blog, on m'a regardé avec un petit sourire : " Donnez-moi votre carte, envoyez moi un article..." Et puis quoi ? Et puis rien. Justement ce rien qui montre que les blogs n'ont pas de réalité, n'ont pas encore d'existence, qu'ils appartiennent au virtuel, que ce qui y est dit ou traité est de moindre importance. C'est certainement encore plus vrai pour les blogs scientifiques qui occupent un espace qu'il faut défricher, agrandir, dégager et qui n'existait que peu ou pas, avant l'émergence d'Internet. Du néophyte scientifique au chercheur, les blogs doivent se prêter à la diversité de leurs auteurs et de leurs lecteurs. Ce qui était une histoire de scientifiques purs s'est transformée petit à petit en une histoire d'amateurs avertis. C'est maintenant l'histoire de tous et de chacun. L'actualité est sans cesse là pour nous le rappeler. Les sciences et tout particulièrement les mathématiques doivent être présentées, expliquées, pour tous les publics, pour tous les âges et à tous les niveaux. C'est justement ce à quoi se sont attelés les blogs de science, de regarder l'actualité scientifique, de la relayer, de la discuter devant ces trois principaux types de public. Le grand public est très exigeant puisque tout recours à des compétences et connaissances d'un niveau supérieur à celui du collège est impossible. Il y a l'amateur averti qui dispose d'un bagage suffisant pour lire un document scientifique, lire le formalisme usuel et le comprendre. Et puis il y a le professionnel qui lui même forme un corps très hétérogène, qui va par exemple en mathématiques du professeur des écoles à celui des universités. C'est sans compter que les supports eux mêmes, changent. Il est maintenant possible d'écrire un document PDF, d'y insérer des liens et de le publier en ligne. Il est possible de relayer des vidéos et des images libres de droit. Il est possible de réaliser des animations et de les diffuser. On peut aussi discuter des informations. Tout ceci n'était pas envisageable il n'y a pas si longtemps que ça. Les blogs reflètent cette évolution et la nécessaire "vulgarisation" des concepts et des idées scientifiques, ainsi que leur discussion et ceci à tous les niveaux. Il est tout aussi important que des blogs érudits et destinés à quelques spécialistes cohabitent avec des blogs plus généralistes. Les différents échelons de la vulgarisation doivent être occupés, je dirai même colonisés et envahis. Pour le sujet qui nous concerne, une poignée de blogueurs s'est attelée à la lourde tâche de la diffusion des mathématiques au plus grand nombre sous toutes leurs formes autrement que par la seule vision du prisme scolaire, nécessairement très réductrice.

    Ces blogs, presque invisibles il y quelques temps, sont de plus en plus mis en lumière. Les universités commencent à relayer leur adresse sur leur portail. De plus en plus de liens qui pointent vers eux voient le jour. On s'aperçoit petit à petit que ce qui est fait par les blogs de maths, en fait personne d'autre ne l'a fait, aucune institution n'a encore fait ce travail. Il n'y a pas de Monsieur Actualités Mathématiques. Il n'y a pas non plus de Monsieur Vulgarisation Mathématique en France.

    Alors ce n'est pas sans une certaine satisfaction que les auteurs de blog de maths voient leur lien apparaître sur des sites de plus en plus prestigieux et nombreux ( Le café pédagogique, l'IRMA de Strasbourg, l'UPMC, Sésaprof et Sésablog, l'université de Bourgogne , de nombreux univers Netvibes).

    Nous sommes sur la bonne voie, mais cela témoigne aussi d'une certaine carence en  communication organisée, dans ce domaine, pour la francophonie toute entière.

  • Les blogs de maths au CNRS...

    image des maths.jpg

    "Images des mathématiques" est une revue publiée par des mathématiciens de haut niveau rassemblant des articles dont l’ambition est de faire connaître, de manière précise et attrayante, des mathématiques en train de se faire, à des lecteurs scientifiques, en particulier des étudiants en mathématiques. Les blogs de maths se sont tous fait écho de cette double publication en 2004 et 2006. Les archives sont disponibles article par article ICI.

    L'ancien site un peu désuet ICI s'est transformé en un site beaucoup plus dynamique ICI avec une publication d'articles associés à un code couleur suivant leur difficulté ( tiens j'ai déjà vu ça quelque part :) ), mais là il s'agit de descendre des pistes de ski de différentes couleurs. Pour l'instant elles sont vertes et bleues. J'espère que toutes les couleurs seront représentées et si je ne rechigne pas à me faire une petite noire au ski, je ne suis pas persuadé que mon niveau mathématique puisse me permettre une telle prouesse dans les pentes arides de cette discipline.

    On trouvera aussi les billets des habitués et une rubrique  "Portraits de mathématiciens". On trouvera celui du très surprenant "Magic Diaconis" qui est passé de la magie en cabaret...à une chaire d'excellence en mathématiques !

    Les blogs de maths n'ont pas été oublié et sont tous regroupés dans une catégorie "lien/blogs". C'est ainsi que je me retrouve tout près du lien pointant vers Alain Connes et Terry Tao. Et moi je dis où il y a de la gène, il n'y a pas de plaisir.

    Mon avis est que tout cela va dans le bon sens. Il semble que la communication autour des mathématiques commence à réellement prendre son envol. Il est important qu'elle soit considérée comme une composante fondamentale dans le regard que pourra porter le grand public à cette discipline d'ici quelques années. Elle devra être diversifiée et s'adresser à des publics très différents du néophyte au spécialiste en passant par  l'amateur averti.

    Les institutions de recherche et les universités se doivent de développer ces aspects afin que les "mathématiques" qui sont non seulement exigeantes et difficiles ne restent pas en plus invisibles ce  qui signerait presque leur arrêt de mort dans l'enseignement, d'autant plus que nous avons déjà vu que certains hommes politiques, y compris des scientifiques, peuvent franchir facilement le pas de l'extinction de l'espèce déjà presque en voie de disparition, sans beaucoup d'état d'âme!

  • Stella Baruk a-t-elle "à peu près" raison ou "environ" tort ? Est-ce bien la question ?

    Madame Baruk se tourne principalement vers les professeurs de mathématiques en questionnant leur enseignement depuis près de 30 ans. Sa notoriété dépasse largement le cadre de l'Education Nationale puisque ses ouvrages rencontrent un succès certain, auprès du grand public, avec une vente moyenne de 50 000 exemplaires par titre.

    Le Monde publie un article intitulé "Stella Baruk, le goût des maths, une affaire de langue", que je vous engage à lire, du moins tant qu'il sera en ligne, et c'est à cette occasion que je rédige cette note.

    Ceux qui possèdent quelques bases et/ou des souvenirs en mathématiques, savent Ô combien il est important de faire la distinction entre une valeur exacte et une valeur approchée. Ils peuvent ainsi sentir toute la subtilité du titre de cette note, avec l'utilisation des termes " à peu près " et " environ ", qui ici comme en mathématiques ne pourront se concevoir qu'avec les restrictions d'usage. " A peu près " et " environ " sont mathématiquement synonymes pour dire que la seule information qu'ils contiennent c'est qu'ils n'en contiennent pas. Tant que l'on ne donne pas la précision avec laquelle on travaille, utiliser " à peu près" ou "environ" , équivaut à parler pour ne rien dire. Si l'exactitude est atteinte , elle ne le sera que fortuitement.

    Et c'est le sens que j'ai voulu donner à ce titre ( et à cette note), j'en suis très satisfait!

    Quel est le cheval de bataille de Mme Baruk? Il s’agit du langage.

    Cathédrale de Burgos: St Jacques (XVIIIème s.)

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  • Il se passe quelque chose à Mathopolis

    J'ai écrit le petit texte qui suit pour faire écho à celui de Missmath : " Mathématiques inutiles"

     

    Metropolis

     

     

     

    A quoi servent les mathématiques ?... Cette question est sans cesse renvoyée à ceux qui les font et ceux qui les enseignent par ceux qui les subissent et ceux qui les financent ....


    Les mathématiques sont un indicateur bien corrélé avec la précocité intellectuelle. Elles peuvent être utilisées à des fins sélectives. Même si tout le monde s'en offusque, elles sont adaptées à l'utilisation que la société en fait dans le cadre d'une forte sélection  pendant la phase de formation initiale. La médaille Fields qui récompense les meilleurs mathématiciens est assortie d'une limite d'âge pour la décrocher : 40 ans. Passé ce 40ème anniversaire, on considérera qu'un mathématicien produit des mathématiques de moindre importance. Plutôt que de parler de mathématiques comme matière de sélection, il serait sans doute plus pertinent de les considérer comme révélatrices de précocité intellectuelle  et de se demander pourquoi la société a besoin de mesurer cette précocité pour choisir une catégorie de ses élites, indépendamment du fait qu'elles se destinent à une carrière scientifique. La précocité devrait être indépendante du milieu social dans lequel baignent les individus or les statistiques actuelles contredisent ce point. Il n'y a  pas de raison qu'un milieu social favorisé génère plus de précocité intellectuelle. L'environnement dans lequel évolue les individus modifie donc le résultat de la mesure. Les mathématiques deviendraient-elles inadaptées à la mesure de la précocité, auquel cas il serait inutile de leur faire tenir ce rôle. Mais que mettre à la place vacante? Y a t-il un intérêt à mesurer, d'une façon systématique, la précocité?

    Eloignons l'aspect sélectif de la discipline pour poursuivre, non pas pour le nier, mais  pour qu'il ne vienne pas perturber le reste de la réflexion. Comme le fait MissMath, il est légitime de se demander à quoi peut servir un enseignement généralisé des mathématiques qui dépasse le "simple" apprentissage de la règle de trois. Si elle parvient à certaines conclusions, je vais exposer mon point de vue qui diffère peut-être sensiblement mais qui rejoindra le sien au moins à quelques endroits.


    S'il est un point de départ important, c'est de considérer que les mathématiques sont une science et donc qu'elle font appel à la pensée rationnelle et que ce sont un langage, et qu'à ce titre, elles ne peuvent pas s'exonérer de leur caractère transcriptif. Ce deuxième point est souvent passé sous silence: les mathématiques au même titre que le français, ou le latin sont un langage possédant une forme écrite. Elles nécessitent pour être comprises, enseignées,  pensées, un support, des signes, une grammaire, un consensus entre les parties les utilisant... Il n'existe pas de transmission orale des mathématiques, du moins dans leur forme évoluée. On ne peut pas se contenter de penser les mathématiques, il faut les écrire. Je les rangerai aussi bien à coté de l'anglais de Shakespeare que d'un langage informatique. Je n'ai pas dit que leur nature étaient équivalentes, je dis simplement que pour qu'il y ait de la "mathématique", il faut qu'il y ait du signe écrit et à partir du moment où il y a du signe, il y a de la transcription. Et enfin, là où il y a de la transcription, il réside toujours un espace incompressible entre l'objet réel ou créé et sa transcription, qui fera que les mathématiques ne pourront jamais être complètement explicatives du monde ni d'elles mêmes. Et ceci même si les mathématiques adhèrent "au plus près" de leur objet d'étude. Elles contiennent d'ailleurs une belle image de ce phénomène avec la notion d'intervalle ouvert. Je classerai donc les mathématiques dans la catégorie des langages, dont on voit d'ailleurs bien l'évolution, lorsque les premiers problèmes et leurs solutions étaient rédigés dans la langue de l'auteur pour ensuite s'algébriser et se détacher de la lourdeur  du langage courant inadapté. Mais alors quelle est la singularité de ce langage  par rapport aux autres? La réponse est simple : il est unique ! Cela suffit à le distinguer des autres. Ici pas de choix possible, pas de nuance, pas de négociation. Un 2 est 2 qu'il soit chinois, indien ou américain. Toutes les tentatives d'écriture et de prononciations différentes n'y feront rien, un 2 est un 2 et 2+2=4. Une inconnue est une inconnue indépendamment du fait qu'elle s'appelle x, y, "TOTO", ou que ce soit un idéogramme. En fait, il n'existe qu'un seul langage dans lequel peut s'exprimer l'investigation quantitative et ce langage s'appelle les mathématiques. Ne serait-ce que pour cette singularité, elles méritent d'être enseignées afin que par un contre-exemple des langages maternels, on puisse comparer les possibilités et les limites de chacun. On ne rentre pas chez soi en parlant "Mathématique" tout comme on ne fait pas un calcul un tant soit peu élaboré en utilisant le dictionnaire. J'ajouterai que notre époque a la chance d'avoir vu naitre un troisième type de langage ou plutôt la possibilité de rendre opérant un langage : le code informatique permet le passage à l'action par implémentation, et de mon point de vue, il mériterait aussi un enseignement généralisé, mais c'est un autre débat.


    On ne peut que s'étonner de la singularité solitaire des mathématiques. Serait-il concevable que tout ou partie de l'humanité refuse d'enseigner à son prochain le seul langage possédant les propriétés d'être le plus univoque possible et universel? Vraiment j'ai bien du mal à voir. De cette position hégémonique et atypique, nait nécessairement l'obligation d'en informer et de former les générations futures. Il n'y aura jamais de guerre Anglais vs Français ou Windows vs Linux en mathématiques. Il y a les mathématiques, un point c'est tout. Elles transcrivent quantitativement, dévoilant à mesure qu'elles se développent, de nouveaux objets de pensée pouvant parfois intercepter de façon inattendue le monde réel.

    Tout ceci est bien joli, mais est-ce suffisant à justifier l'enseignement d'une telle discipline? En ce qui me concerne oui, mais on doit encore poursuivre car la singularité d'un langage aussi précis soit-il, ne suffit pas à convaincre certains esprits bien trempés, du bien fondé de la chose. Il est vrai que la spécificité d'un langage vaut pour chacun d'entre eux et le caractère approprié des mathématiques à la quantification, apporte avec lui de fortes limitations en matière d'échange, de partage, de souplesse et de description des choses et idées courantes.

    Des mathématiques comme langage, passons maintenant aux mathématiques comme processus d'investigation. S'il y a investigation, celle-ci sera rationnelle, ce qui  flatte nécessairement l'égo de nos sociétés hyper-technologiques. Mais que nous apprennent les mathématiques sur l'investigation rationnelle? Le message le plus important qu'elles nous renvoient est  dans leur tentative transcendante de poursuivre inlassablement leur travail sans se tromper en prenant nécessairement la liberté et le risque de se détacher du monde qui nous entoure. La fougue intuitive et imaginative de l'humanité se trouve  encapsulée dans la rigueur de l'investigation rationnelle et la nature même du langage mathématique. Liberté et rigueur, voilà deux maîtres mots, presque opposés qui se retrouvent au cœur de l'activité mathématique. Selon les points de vue et les compétences de chacun, on y voit plutôt l'une ou l'autre. L'ombre et la lumière permettent la création des plus beaux tableaux que les mathématiciens ont choisi d'appeler définitions, démonstrations, théorèmes. Tous les styles seront représentés et chacun y ressentira beauté ou laideur, chaleur ou froideur, passion ou indifférence. Comme dans tout art, les mathématiques  ont  leurs valeurs sûres, les stars du moment, leurs derniers objets high-tech et leurs effets de mode, les partisans de tel style ou leurs détracteurs.  Les mathématiques sont l'art de la science, elles sont d'une efficacité redoutable. Malgré ces vaguelettes et ces coups de projecteurs, elles ne craignent personne, et encore moins le temps, tant leur édifice est profondément ancré sur des axiomes intemporels entre des murs pouvant résister à tous les types d'assauts. En mathématique on peut partir rassurer et avancer. Même si l'activité mathématique du novice ou de l'expert est d'avancer dans le diamant, il peut aussi regarder le paysage découvert par les anciens et le commenter. Ici c'est plutôt abrupt mais c'est magnifique, et là c'est plutôt paisible mais un peu lassant, et là encore c'est tout simplement grandiose, mais quelque soit le degré de maîtrise de chacun, des régions entières des mathématiques lui resteront à jamais cachées, ce qui ramène tout le monde presque au même point. Le mathématicien ne pourra jamais tout connaître des mathématiques et le novice ne connaîtra guère que ce que l'école lui a enseigné de la discipline (au mieux...).


    Mais est-ce que tout cela suffit pour justifier un enseignement des mathématiques à l'ensemble d'une population? Pour moi c'est plus qu'il n'en faut mais pour certains, il faut en dire encore plus, car les paysages sont aussi très beaux en Ardèche méridionale mais il ne viendrait à l'idée de personne de rendre obligatoire un enseignement à son sujet. Alors il faut encore poursuivre, pour tenter de justifier l'impossible : à quoi ça va me servir à moi d'apprendre les maths? Je n'en aurai pas l'utilité et en plus j'aurai tout oublié juste après mon examen! Et moi qui ne comprends rien, quelle torture...


    L'important n'est pas de savoir ce que l'on a retenu des mathématiques, puisqu'on oublie tout ou presque d'un cours après plusieurs années de non utilisation, quelque soit son contenu et le niveau d'apprentissage. On oublie les maths comme on oublie où l'on a rangé une clé à molette dont on ne s'est pas servi pendant deux ans. Ce qui est fondamental,  c'est de savoir quels processus sont activés lors d'une activité de type "mathématique". Là, le terrain de jeu est vaste et intéressant, car c'est justement dans cette activité que l'adulte, l'adolescent, l'enfant qu'il soit profane ou spécialiste peuvent se retrouver ensemble dans l'étude d'objets mathématiques, certes bien différents, mais pour lesquels les processus intellectuels et psychiques mis en jeu, sont presque identiques.


    Je pense que dans beaucoup d'analyses une confusion forte est faite et certainement même au sein même de la communauté d'enseignants des mathématiques entre l'utilité des mathématiques en tant que corpus de connaissances et de techniques, et l'utilité des mathématiques en tant que processus intellectuel. Si la première considération amène avec elle, une sélectivité exacerbée et restreint énormément le champ d'application à quelques personnes trop peu nombreuses pour effectivement justifier à elles seules la généralisation de l'enseignement des mathématiques, la seconde porte en elle un énorme pouvoir fédérateur qui donne autant de joie à un novice qu'à un expert, chacun venant de trouver le moyen de résoudre le problème qui l'a fait sécher un peu trop longtemps à son goût. Les chemins empruntés ont été les mêmes: exploration, rigueur de raisonnement et illumination libératoire.


    Si la pratique des mathématiques est parfois difficile pour certains, c'est aussi qu'il n'est pas évident de placer le curseur des difficultés  juste au dessus de l'état des connaissances et des compétences de chacun afin qu'il ne se décourage pas ni ne se lasse pas. La juste distance est difficilement appréciable. Par contre à chaque pas franchi, des processus nouveaux et inconnus jusque là ont été activés, découverts. En même temps que l'objet mathématique se dévoile, un peu de connaissance nouvelle sur soi apparait. Il n'y a peut être rien de bien nouveau depuis qu'a été lancé un très médiatique "Connais-toi toi même", paradoxalement auto référent, dont l'objectif impossible à atteindre met cependant chacun en action, dans une soif désespérée de connaître le monde extérieur et son univers intérieur. Les mathématiques ont cette force paradoxale d'être universelles et absolues alors qu'on ne peut les expérimenter qu'à la lumière de notre intériorité sollicitée de façon prolongée. Prendre son temps, attendre, ne pas savoir, voir l'invisible, se plonger dans son intériorité ne sont pas des valeurs tellement relayées dans nos sociétés occidentales.


    Même si les tables de multiplications ne sont pas bien connues, l'enfant qui manipule les nombres et les premiers objets mathématiques, ressent, ne serait-ce que furtivement, le plaisir qui peut lui être donné à pratiquer cette activité. Il sent bien qu'il n'a pas besoin d'être quelqu'un d'autre pour ressentir une forte joie à l'annonce du bon résultat qu'il vient de trouver. Ce serait comme un léger sentiment intérieur de toute puissance, celui d'avoir trouvé avant ce qui est absolument VRAI. L'élève, même en bas âge se trouve doté de la force de produire du vrai, du juste, de l'absolu, du non négociable. Il ne s'agit pas seulement d'une réponse mais d'une activité, d'un processus en action qui le place au même niveau que le génie, le savant ou l'adulte. Il n'y a pas d'âge dans la mise en mouvement de ce processus actif et à la fin, lorsque la tension est résorbée, la récompense est là, mais il y peut aussi y avoir la frustration, l'échec de la tentative infructueuse, le doute solitaire, autant de sentiments négatifs qui sont à la hauteur du manque ressenti. Alors si beaucoup de sociétés occidentales possèdent des difficultés avec la généralisation de l'enseignement des mathématiques, c'est peut-être aussi, parce qu'il est pratiquement impossible de les enseigner massivement sans individualiser. S'il n'y plus de diversité sociale dans la sélection par les maths c'est peut-être non pas à cause des maths, mais à cause des valeurs mises en avant dans ces sociétés qui sont opposées à celle attendues en mathématiques. Il y a un paradoxe à ce qu'une société attende qu'un individu soit performant dans un domaine qui demande temps et intériorité, alors que cette même société construit ses membres en valorisant l'instant présent et l'extériorisation de la personnalité. Il n'est donc pas étonnant que les  plus fragiles d'entre eux subissent de plein fouet ce matraquage idéologique et je suis bien surpris de voir certains s'indigner en regardant beaucoup plus souvent vers l'école que vers son environnement.


    Pour résumer, deux activités complètement distinctes se déroulent conjointement dans l'apprentissage des mathématiques. Il y a d'une part, l'acquisition de connaissances et de techniques dont le volume, le rythme et le niveau peuvent faire débat et dont on peut toujours se demander, s’il y a trop ou trop peu de ceci, lorsqu'on le met en relation avec un projet personnel ou les besoins réels de la société à un moment donné. Cet arbitrage peut être l'objet de toutes les tensions entre les différents acteurs en place. On voit ainsi apparaitre et disparaitre des notions de l'enseignement mathématique en fonction de certains rapports de force dans les organes décisionnels et du moment. Et puis il y a les mathématiques comme processus, comme activité intellectuelle où la compréhension ne peut pas  toujours être placée comme condition initiale. Il faut accepter d'avancer à petits pas, sans comprendre en totalité, et découvrir les mathématiques en même temps que la pensée intérieure s'éclaire. Cette position atypique qui demande une certaine abnégation, une certaine humilité et du temps, est unique, puisque les autres disciplines sont descriptives alors que les mathématiques s'éclairent elles-mêmes à mesure qu'elles se pratiquent. Je dirai que de façon très étonnante, les mathématiques n'ont (presque!) besoin  que d'elles mêmes pour avancer. Il n'est pas nécessaire de sortir des mathématiques pour en faire, alors que toutes les autres disciplines ont besoin d'un objet extérieur pour s'appuyer. Les mathématiques hurlent leur indépendance devant toute individualité qui veut les approcher. L'une dit je vis de moi et l'autre répond je veux te connaitre puis les premières de répondre : si tu veux me connaitre, il ne suffit pas de me contempler: on n'apprend pas le chant du rossignol sur des oiseaux empaillés. Mais pour certains, les rossignols chantent trop, bougent trop et d'ailleurs, ils n'arrivent même pas à reconnaître les rossignols ni leur chant. On dit dans un langage un peu moins imagé, que ces individus manquent d'abstraction...


    Alors contrairement à Missmath qui est "diplômée en rêverie et professeur d’inutilité", je suis professeur de chant (des rossignols), je me reconnais d'utilité publique même si, ne lui en déplaise, je suis fortement diplômé en "ce n’est pas comme ça qu’il faut faire, ça se fait comme ça et ça sert à ça”.

     

     

     

    Rossignol?

     

    Fichier PDF de ce texte

  • Why blog ? Ou plutôt Why blog de maths ?

    Live Blogging at Woolfcamp

    Bruno de "Blogs à maths" m'a demandé de continuer une chaîne. Je tiens d'une part à le remercier de cet honneur ( heureusement que je lis régulièrement son blog...) et d'autre part à lui faire part de ma faible compétence en matière de chaines, qui se limite en gros à celles de Markov, de vélos et de télé.

    En fait la chaîne consiste à faire suivre un questionnaire à d'autres bloggueurs et d'y répondre. Pour la deuxième partie c'est bon mais pour la première c'est plus difficile car Bruno a presque épuisé en 6 adresses la totalité de la blogosphère mathématique francophone et Guy, qui a répondu avant moi, a quasiment fini le travail avec 3 autres adresses. Il me reste à taper à la porte de Gilles Jobin au Québec qui doit au moins passer une fois par an sur mon blog afin de poursuivre cette difficile tâche...

    Alors à la question Why blog ? et en particulier Why blog de maths ? en tant que scientifique ( et prof, car c'est difficilement dissociable en ce qui me concerne) je suis tenté de répondre cela :

    Parce qu'Internet c'est ma télé et que le blog c'est mon magnétoscope.
    Parce qu'à mon avis, dans un futur très proche, ce que l'on appellera "document" ressemblera plus à une note de blog qu'à une photocopie.
    Parce que je suis curieux.
    Parce que j'aime ça.
    Parce qu'ici, il y a tout plein de personnes qui disent des choses passionnantes et qui m'intéressent.
    Parce que je n'ai jamais augmenté aussi vite mes connaissances et mes compétences, qu'en alimentant ce blog.
    Parce que le blog de maths est une espèce en voie de disparition avant de s'être développée.
    Parce que si je n'en avais pas créé un, ça en ferait un de moins sur la blogosphère et compte tenu de ce que je viens de dire précédemment, ça pourrait resembler à une catastrophe nationale.
    Parce que la pratique numérique me semble être une compétence aujourd'hui incontournable dans mon métier et dans ma vie personnelle.
    Parce que ne pas savoir ce qu'est un flux RSS ni comment l'agréger me paraît aujourd'hui difficilement acceptable dans un métier lié à la connaissance.
    Parce que la veille informative devient au moins aussi importante, sinon plus, que l'agrégation de connaissances.
    Parce qu'on ne peut pas parler de choses que l'on ne connaît pas ( moi en tous cas ).
    Parce que l'utilisation  de l'hypertexte demande une pratique intensive qui relève plus de l'art que de la simple technique.
    Parce que je veux parler des mathématiques comme je le souhaite et non comme on me l'impose.
    Parce que l'on ne peut pas réduire les mathématiques à leur composante scolaire.
    Pour montrer les mathématiques. Rendre visible ce qui est invisible.
    Parce qu'il faut occuper un espace qui serait désespéremment vacant si quelques bénévoles passionés ne s'attelaient pas à la tâche.
    Pour pointer sur les insuffisances en France en matière de communication et de vulgarisation scientifique.
    Pour montrer l'exemple et un exemple possible.
    Pour découvrir de nouvelles voies de connaissances, de nouvelles formes de présentation et d'expression.
    Pour dire qu'il n'est pas possible que Nathalie de Koh-Lanta soit prof de maths et qu'elle utilise la formule "2 pi r au carré" pour calculer l'aire d'un disque.
    Parce que c'est possible.
    Pour montrer à des personnes qui ne connaissent des mathématiques que leur face scolaire obscure, qu'il en existe une autre qui peut leur paraître plus lumineuse.
    Pour montrer que l'on peut parler des mathématiques sans forcément en écrire beaucoup.
    Pour enrichir ma pratique professionnelle.
    Pour dire qu'un diplômé en Mécanique fait bénévolement un travail que de nombreux matheux, mieux payés que moi, pourraient et devraient faire.
    Pour montrer qu'un blog n'est ni plus ni moins que la production d'un flux informationnel qui occupe un espace numérique pendant un temps donné, mais que c'est une forme récente et durable de communication.
    Pour attendre en ligne le réveil de certaines institutions, qui s'apercevront peut-être avant 2012 (il faut bien choisir une date!) qu'il y a quelques carences en matière de vulgarisation mathématique.
    Pour parler de la science vivante de façon vivante, de l'art, de la philosophie et d'autres sujets peu médiatiques.
    Pour tenter d'effacer les lieux communs circulant au sujet des mathématiques.
    Pour informer et partager.
    Pour laisser une trace.
    Pour avoir une présence en ligne.
    Pour avoir une vision actualisée et globale.
    Pour me faire plaisir et en donner.
    Pour m'occuper.
    Pour concentrer les disputes familiales sur un seul sujet : le blog ... ( ça, c'est pas vrai pour moi mais je suis sûr que ça l'est pour d'autres ! )
    Pour comprendre un peu mieux les maths et ceux qui les font.
    Pour pouvoir placer quelques uns de mes jeux de mots à deux balles, que sinon,  seuls mes  élèves auraient la chance de connaître.
    Pour être réactif.
    Pour répondre à une telle question.
    Pour dire  que si la récursivité menace les blogs, c'est aussi un fabuleux sujet mathématique.
    Pour comprendre les mécanismes possibles d'insertion du monde numérique dans l'enseignement, et réciproquement.
    Pour plein d'autres raisons que j'ai oubliées.
    Parce qu'on ne peut pas parler de l'avenir, de l'état des connaissances sans utiliser la forme avec laquelle elles commencent à se répandre.
    Parce que le Bulletin Officiel vient de cesser son édition papier pour une diffusion exclusivement en ligne et que c'est symptomatique d'une évolution sensible des formes de production des documents, même officiels.

    Voilà, c'est tout pour aujourd'hui.
    A bientôt ici.