C'est la question que pose Gaspard... un blog de maths que je viens de découvrir.
Je vais tenter quelques réponses jetées en vrac ici:
Ça prend beaucoup de temps. Lire les notes des autres blogs, alimenter le sien par des notes plus ou moins longues, c'est autant de temps utilisé à ces tâches qui peuvent parfois occuper plusieurs heures par jour. Je m'entends d'ailleurs dire à la maison non plus que je suis sur l'ordinateur mais que je suis sur mon blog ! Pendant ce temps là le repas, les courses et le jardinage attendent... patiemment !
Il faut s'y mettre... à l'informatique, au web 2.0, il faut essayer, passer du temps à comprendre cet univers : del.icio.us, les blogs, les réseaux sociaux, le langage html, les flux rss. Il n'y a pas de manuel, tout se fait sur le tas, au fur et à mesure. Comprendre comment ça marche n'est pas si simple, il faut regarder les autres pendant des heures, s'essayer, abandonner, tester, reprendre. Il faut donc s'engager dans une démarche de longue haleine qui peut décourager.
Il n'y a aucune reconnaissance institutionnelle, ce qui n'engage personne à sortir des sentiers battus. Aucun enseignant ( car se sont quasiment les seuls à pouvoir faire un blog exclusivement sur ce sujet ), alors que les discours officiels demandent de changer l'image des maths, n'est valorisé ni reconnu à réaliser un tel travail ramené au statut d'épiphénomène, au bricolage qui n'engage que la personne qui en est le créateur dans la manière d'occuper ses loisirs... L'enseignant du second degré ou l'universitaire qui se lancerait dans l'aventure serait plutôt vu comme un amusant marginal tant que ses propos sont inoffensifs et comme un dangereux polémiste si ce n'est pas le cas, pouvant être soumis à remontrance, et même être sanctionné!
A quoi ça sert un blog ? Telle est la question à laquelle on est forcément confronté lors de la lecture ou de la création d'un tel objet numérique. Le blog permet de traiter le flux informatif, or les mathématiques, dans la façon dont on les enseigne depuis des années répondent plus au statut de stock qu'il faut ingurgiter, qu'à l'idée de flux sur lequel on peut parler, avoir un avis, émettre des idées. L'idée d'actualité, forcément associée à l'idée de blog et de flux, émerge en ce qui concerne les mathématiques en France. Il est possible de faire un blog plutôt site, détaché du flux des nouvelles fraîches mais dans ce cas il devra apporter une vison nouvelle, une présentation originale, des éléments nouveaux, sans quoi il verra son lectorat se détacher de lui.
Quel intérêt pour les élèves? La question estc entral lorsqu'un enseignant se lance dans l'aventure, à moins qu'il ne choisisse une autre orientation plus personnelle auquel cas on ne peut pas tellement parler de blog de maths. Le débat est ouvert et la réponse ne me semble pas si évidente.
L'idée d'actualisation des connaissances n'est pas naturelle en mathématiques et si elle me parait évident par une formation plutôt orientée vers les sciences de l'ingénieur et la veille technologique, je ne suis pas persuadé qu'elle le soit pour un étudiant qui sort de l'université pour rentrer à l'école, aussi diplomé soit-il ! Il n'est donc pas étonnant que la plupart des matheux regardent un blog avec un étonnement non dissimulé, une incompréhension à peine voilée, en se demandant à quoi ça peut servir !
Faire un blog sur les maths s'est aussi avoir une certaine croyance que l'on peut changer les choses, que l'on peut changer l'image d'un domaine, que l'on peut-être utile, que le temps que l'on passe, s'il s'agit d'un enrichissement personnel est aussi utile pour les autres auquel cas, nombre de notes ne seraient pas écrites.
La création d'une identité numérique n'est pas encore implantée. Or je suis persuadé que d'ici quelques années elle sera au centre de toutes les considérations, qu'elle fera partie intégrante du CV. A savoir si le monde de l'enseignement restera aveugle à ce changement qui s'amorce à l'extérieur.
Faire un blog c'est avoir un lectorat et cette idée n'est pas si naturelle que cela, c'est d'ailleurs ce point qui m'a le plus troublé. Quoi dire? Comment le dire ? Faire des maths et parler autour des maths ne demandent pas les mêmes compétences. La première n'implique pas la seconde qui est pourtant à la base de la création d'un blog de maths.
Il faut se lancer dans l'inconnu, prendre des risques, être soumis à la critique, admettre que l'on est faillible, que l'on peut se tromper, que l'on peut être en difficulté à trouver un chemin, que l'on doit changer de trajectoire, que l'on doit essayer sans savoir, etc,... autant de compétences qui sont plutôt vues comme des défauts en maths !
Il ne faut pas avoir peur du jugement, de ses pairs, de personnes qui ont plus de connaissances que soi. Il faut accepter l'idée que des personnes plus érudites, plus cultivées, plus intelligentes, vont lire ces modestes lignes. Il faut aussi accepter l'idée qu'un lecteur n'est absolument pas obligé de revenir. Impossible de contraindre une personne à revenir. Seul le talent de l'auteur, la pertinence de ses articles fidélisent le lectorat, sachant que les lecteurs potentiels n'ont souvent guère de temps à consacrer à cette activité.
Les universitaires n'ont jamais été très amis avec la vulgarisation, pour la transmission exotérique des connaissances. L'idée est plutôt: on sait, on crée des diplômes, on donne les diplômes à ceux qui savent. Une sorte de transmission en vase clos qui atteint maintenant ses limites par le manque de personnes disposées à rentrer dans ce système ( du moins en sciences ). Le blog n'a pas encore de place dans ce monde universitaire pour qui le seul intérêt d'Internet est la facilité d'accès à des contenus et non un moyen de modifier leur présentation, pratique supposée inutile et même nuisible à leur utilisation. Si c'est vrai pour le professionnel, il n'en est pas de même pour le grand public qui sera demain le client de ces mêmes institutions... C'est à l'université que sont formés les enseignants, celle-ci élisant ceux qu'elle juge les meilleurs dans ce travail en leur attribuant l'agrégation où seul le contenu est important. Quel serait donc l'intérêt de transmettre autre chose que des contenus ? Rien au regard de la performation diplômante du système universitaire qui produit les membres de l'institution et leurs élites. Si le discours autour de l'interdisciplinarité et de divers procédés pédagogiques enrobant la connaissance est ( a été ?) dispensé , rien n'a été modifié dans les modes de sélection des enseignants. Ces discours se trouvent confrontés à l'immobilisme du système qui les contredit et annulent de facto! Le blog, avatar de la vulgarisation et du discours vain autour d'un sujet bien trop sérieux pour être abordé par l'opinion commune, se trouve donc balayé d'un revers de main et chassé des choses sérieuses et utiles du monde des connaissances dont les universités sont les gardiennes. Et pourtant, si je prends l'exemple de ce blog, je ne compte pas les documents pdf que j'ai extraits des sites universitaires pour les exposer ici. Y aurait-il un décalage entre l'image véhiculée et la réalité souhaitée qui ne peut être dite, être mise dans le discours dirigé vers l'extérieur? L'analyse fine et les moyens à mettre en oeuvre pour modifier les choses ne sont pas à ma portée ...
Un blog pour parler de quoi? De soi? Bof. Des autres? Bof. Du monde? Mouais. Des maths? D'autres l'ont tellement bien fait et le font si bien au travers de brillants livres? Qui suis-je pour me permettre de parler? Ai-je les compétences? Il faut trouver quoi dire, de quoi parler et ce n'est pas une mince affaire, encore une question de temps.
Alors un blog pour quoi faire? Pour reprendre une image qui m'a marqué, je dirai pour apprendre à nager! Surfer à la surface de choses ou plonger dans les profondeurs des connaissances. L'un n'exclue pas l'autre et le blog me semble être le point de convergence des deux. Pour surfer sur la toile et nager dans l'océan des connaissances, il faut un surf et le surf numérique s'appelle le blog, sans lui on reste spectateur. Aller vite, à la surface et plonger en profondeur, voilà l'exercice quotidien que nous demande cet objet nouveau qu'est le blog. Ici, rien de statique, on ne sais jamais de quoi demain sera fait, il y a quelques instants je ne savais même pas que j'allais écrire cette note et il y a deux heurs je ne savais pas non plus que j'allais écouter un cours du Collège de France sur les fondements cognitifs de l'arithmétique élémentaire. Alors je confirme, ce blog m'apprend à nager car sans lui je n'aurai pas mené ces deux actions dans un temps aussi restreint ( et avec des paquets de copies qui attendent encore désespérément d'être corrigées ! ). Je dirai que le blog apporte non seulement un renouveau des connaissances en les mettant en mouvement mais aussi un vent de libertés dont il serait dommage de se priver.
Compte tenu de ces quelques points jetés en vrac, peut-on s'étonner du faible nombre de blogs de maths ?
J'ai du oublier mille points mais je sais que vous êtes là pour rattraper mes déficiences !
Je vais vous avouer un secret : moi je fais un blog pour être cité dans les futures études sociologiques qui seront publiées dans 50 ans lorsqu'un étudiant aura choisi comme objet de thèse " Les blogs de maths francophones " et que son travail sera d'éplucher toutes les notes de ce blog. Alors je lui fais un petit coucou ici !!!