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Stella Baruk a-t-elle "à peu près" raison ou "environ" tort ? Est-ce bien la question ?

Madame Baruk se tourne principalement vers les professeurs de mathématiques en questionnant leur enseignement depuis près de 30 ans. Sa notoriété dépasse largement le cadre de l'Education Nationale puisque ses ouvrages rencontrent un succès certain, auprès du grand public, avec une vente moyenne de 50 000 exemplaires par titre.

Le Monde publie un article intitulé "Stella Baruk, le goût des maths, une affaire de langue", que je vous engage à lire, du moins tant qu'il sera en ligne, et c'est à cette occasion que je rédige cette note.

Ceux qui possèdent quelques bases et/ou des souvenirs en mathématiques, savent Ô combien il est important de faire la distinction entre une valeur exacte et une valeur approchée. Ils peuvent ainsi sentir toute la subtilité du titre de cette note, avec l'utilisation des termes " à peu près " et " environ ", qui ici comme en mathématiques ne pourront se concevoir qu'avec les restrictions d'usage. " A peu près " et " environ " sont mathématiquement synonymes pour dire que la seule information qu'ils contiennent c'est qu'ils n'en contiennent pas. Tant que l'on ne donne pas la précision avec laquelle on travaille, utiliser " à peu près" ou "environ" , équivaut à parler pour ne rien dire. Si l'exactitude est atteinte , elle ne le sera que fortuitement.

Et c'est le sens que j'ai voulu donner à ce titre ( et à cette note), j'en suis très satisfait!

Quel est le cheval de bataille de Mme Baruk? Il s’agit du langage.

Cathédrale de Burgos: St Jacques (XVIIIème s.)

De celui même que je viens d'utiliser pour exprimer de la façon la plus précise possible, l'idée de l'imprécision. Pour Stella Baruk, les mathématiques s'enseignent au travers du langage qui fait sens et de l'erreur permise, elle n'a donc pas un mais deux chevaux de bataille. Expliquer le sens des mots utilisés et faire du cours de maths un moment de plaisir,  voilà qui ne peut que susciter l'adhésion du plus grand nombre et sans doute faire progresser les élèves les plus réfractaires. C'est dans ce sens que je dirai que Stella Baruk  a raison,  et cela d'autant plus lorsque ce discours était tenu au moment où l'enseignement des mathématiques avait sans doute atteint son plus fort niveau d'abstraction. Parler du contenu étymologique ou du sens de telle ou telle notion, n'était pas une évidence dans l’enseignement des mathématiques. C'était aussi l'occasion de s'interroger sur des mots comme "sommet", qui ne sous-entend pas forcément le fait d'être en haut en mathématiques, l'utilisation des mots "carré" et du "cube" et leur origine. L'une des notions les plus difficiles à saisir est la distinction de sens entre le "si" conditionnel et le "si" de l'implication logique qui a donné le début du titre d'un de ses livres : " Si 7=0. Quelles mathématiques pour quelle école?". Ces difficultés et confusions devant le langage usuel et expert se rencontrent à tous les stades de l'enseignement des mathématiques. On peut y adjoindre la distinction entre le "ou" et le "et" qui semble pourtant si évidente mais qui ne l'est plus lorsque qu'on projette ces termes dans un environnement plus abstrait. Il y a aussi la distinction entre le "ou inclusif" ( qui accepte le "et" ) et le "ou exclusif" qui est un " soit… soit…". C'est généralement le premier qu'on utilise  en mathématiques, alors que le sens que beaucoup lui attribuent est plutôt donné par le langage courant et correspondrait au " soit… soit…". Effectivement lorsqu'on dit il va pleuvoir ou faire beau, ou bien, il est noir ou blanc, il semble évident que ce dont on parle ne peut avoir simultanément les deux propriétés. Or en mathématiques, ce "ou" là ne nous est que de peu d'utilité. Nous venons de voir en passant un autre mot difficile à saisir. Il s’agit de "simultané", dont le sens vire souvent vers celui de son petit copain "successif".

Alors certainement, Stella Baruk a raison, le langage est vraiment fondamental. Le sens des mots, des concepts enseignés doit faire partie intégrante de l'enseignement des mathématiques.

Jacques Moisan, Inspecteur Général de mathématiques, rappelle dans cet article:

"Mme Baruk, dit-il, a eu le mérite, dès les années 1970, à une époque où effectivement, dans l'enseignement des maths, on cherchait plus un formatage qu'une formation de l'esprit, d'appeler à redonner du sens. Elle a été pionnière, et ses vues sont prises en compte depuis une quinzaine d'années par les cadres de l'Education nationale.Mais la difficulté, c'est la mise en application. Au primaire, il y a un problème de formation des enseignants qui dans leur grande majorité n'ont pas fait d'études scientifiques approfondies. Au collège, un souci lié à l'hétérogénéité des publics. Malheureusement, le réflexe des professeurs, face à des élèves en difficulté est de travailler sur la technique plus que sur le sens."

Faut-il donc s'étonner de la situation suivante si les élèves ne maîtrisent pas le sens de ce qu'ils apprennent? Au primaire, posez ce problème. Dans une classe, il y a 4 rangées de 7 tables. Quel est l'âge de la maîtresse? "Pour les trois quarts des enfants, elle a 28 ans, assure Stella Baruk. Quand je le racontais aux enseignants, ils me disaient tous : Pas mon fils! , puis revenaient quelques jours plus tard m'avouer que oui, leur fils aussi…"

Je répondrai "oui" de façon naïve ", il faut s’en étonner, mais mon expérience personnelle me laisse penser qu'il y aura indépendamment de la méthode utilisée et des explications données en un temps limité pour le faire, de telles situations qui ne sont pas à exclure et qui grossissent le pourcentage de ceux qui ne répondent pas à l'attendu. On pourrait penser que seuls les élèves les plus en difficultés y sont confrontés, mais justement c'est une erreur. Un élève en difficulté, dans sa volonté de bien faire, peut forcer la réponse, et donc répondre quelque chose plutôt que rien. C’est d'ailleurs ce que souhaite paradoxalement Mme Baruk lorsqu'elle demande que le droit à l'erreur soit accordé.

En quoi répondre quelque chose plutôt que rien, est-il aberrant?

La mauvaise réponse ne peut être utilisée pour justifier deux situations contraires, d’une part la faire apparaître comme un symptome de dysfonctionnement mathématique et d’autre part la solliciter pour permettre de s’appuyer dessus, celle-ci ayant une valeur implicite de question. Ce qui est cependant plus étonnant, c'est que des élèves reconnus par l'institution scolaire comme étant bons élèves, produisent aussi un tel type de réponses. C'est ainsi que j'ai déjà vu passer bon nombre d'ermites perchés sur une montagne de plusieurs centaines de kilomètres ou de seulement quelques millimètres de haut, ou bien même d'une hauteur négative ce qui les placerait sous l'eau. Notre ermite a sûrement dû utiliser son baromètre comme tuba! C'est aussi sans compter les avions qui volent à des millions de kilomètres par heure, les bijoux qui pèsent des centaines de kilos et bien d'autres réponses toutes plus caricaturales les unes que les autres et que seules des questions d'un exercice de maths peuvent donner l'occasion de dévoiler au grand jour. J'ai eu aussi une drôle de surprise en posant à des quatrièmes, un problème sur le rangement d'un atelier, qui s’avérait être pour beaucoup d’entre eux, plus long à ranger à deux que tout seul! Voyez par vous-mêmes ici. Nombre des auteurs de ces perles sont aujourd'hui médecin ou ingénieur, mais c'est promis je ne donnerai pas les noms!

Je dirai donc que Mme Baruk a en fait " à peu près " raison. Si l'explication précise des mots, des concepts, du sens des opérations demandées est incontournable, il faut aussi se rendre à l'évidence les mathématiques sont difficiles à apprendre pour beaucoup d'élèves malgré les précautions qui sont prises. Elles se placent sur plusieurs champs bien distincts du sens et de la réflexion, de la technique et de la mémorisation. Elles demandent un processus de réflexion dynamique et rapide que les élèves sont parfois capables de produire alors que d'autres fois ils le négligent, produisant ainsi, l'erreur aberrante qu'ils n'auraient pas avancé dans des circonstances plus encadrées.

Ce qui me préoccupe le plus dans cette histoire n'est pas tant que les élèves produisent des boulettes aussi grosses qu'eux, c'est qu'en mathématiques elles prennent tout de suite une dimension disproportionnée.

Depuis ces quelques années d'enseignement, malgré le fait que je me sois trouvé devant des élèves en grandes difficultés mathématiques, je pense qu'on porte les problèmes de façon un peu trop passionnelle et que l'on devrait distinguer les faiblesses d'un système à aider les enfants en très grande difficulté ( sociale et scolaire ) avec la difficulté d'apprendre et de comprendre une discipline comme toute autre, à condition que le degré d'exigence soit optimisé pour une classe d’âge donné, ce qui est globalement le cas en période de massification de l’enseignement.

Un collègue d'histoire-géographie m'a  dit un jour, qu'un de ces élèves avait cité son nom à la place de celui du général de Gaulle pour répondre à la question "Quel est l'auteur de ce texte?". Il s'agissait bien évidemment de l'appel du 18 juin. Est-ce suffisant pour remettre en cause la totalité de la pédagogie dans cette discipline et en faire un drame national ? Les grands quotidiens s’offusquent-ils lorsqu’apprendre l’abstraction d’une guerre mondiale est très difficile pour des élèves de collège dont les références culturelles sont à des années lumière de ce sujet? Jette-t-on systématiquement la responsabilité sur les méthodes pédagogiques en histoire-géographie lorsque certains élèves de 15 ans peinent à associer le nom et le portait de Napoléon, Vercingétorix et De Gaulle ?

Depuis beaucoup trop d'années, on agite de façon presque systématique une sorte d'élixir de réussite devant l'élève mathématiquement malade. L'hôpital Education Nationale disposerait de certains médecins ultra-qualifiés mais reclus dans des laboratoires expérimentaux trop petits pour faire bénéficier de leur savoir la totalité de la population, alors que pendant ce temps des cliniques privées de cours particuliers  permettraient une remise à niveau plus sûre et  plus rapide, en contrepartie de quelques écus. Je voulais dire euros, nous sommes effectivement au XXIème siècle et non au moyen-âge.

Malades

Mais pourquoi plus en mathématiques que dans les autres disciplines? Peut-être parce que justement dans une autre discipline, une réponse aberrante n’est pas assortie d’une remise en cause presque totale de la façon de l'enseigner, quoique le français y ait aussi droit. Alors pourquoi ces discours sont-ils toujours relayés par des journalistes, auréolés de la pseudo-mission de faire apparaître la Vérité cachée au grand jour. Celle d'une horrible discipline s'adressant à une jeunesse, originellement prète à la recevoir, si d'étranges interférences qu’il faut éliminer, ne venaient perturber la douceur de ce champ de savoir rayonnant. Peut-on encore croire à une telle vision des choses? Naïvement je dirai que oui ! Le sujet semble d'autant plus médiatique qu'il est récurrent et est à peu de choses près, toujours abordé sous cet angle, ce qui est pour le moins symptomatique d'un travail journalistique plus souvent mené à charge qu'à décharge.

On sera donc surpris de trouver dans cet article, un avis partiellement contradictoire, avec la voix de Pascale Pombourc, Présidente de l'Association des Professeurs de Mathématiques de rétorquer : "On a pris conscience de ce qu'elle disait mais elle n'est pas venue voir qu'on avait bougé! Son discours est caricatural… même si je ne nie pas qu'au primaire, les choses dépendent de la formation des professeurs des écoles. On n'enseigne bien que ce qu'on maîtrise…" Mais c'est sans compter une reprise en main immédiate, dont le vocabulaire utilisé ne laisse planer aucun doute sur le ton global apocalyptico-politique donné au sujet: A l'heure venue d'un premier "testament"  pédagogique, Stella Baruk lance un énième appel au ministre de l'éducation, Xavier Darcos en l'occurrence, "pour une école première"  en mathématiques qui faciliterait la tâche, actuellement impossible, des professeurs de collège.

Alors que Madame Baruk ait "à peu près" raison ou "environ" tort ? Est-ce bien la question, lorsque le message à faire passer est préalable au contenu de l’article ?

Justice

Pouvons nous attendre d'autres analyses dans les pages d’un quotidien national dont le nom rappelle l’universalité, tout comme les principes mathématiques?

C’est à croire que les maths sont dans le domaine journalistique ce que l’on appelle dans le domaine mathématique, un cas particulier. C’est même un cas d’école !

On ne prend pas soin de vérifier les hypothèses du problème, on saute des étapes entières de raisonnement, on oublie d’expliquer, de détailler, on va droit au résultat sans précaution, on tente de démontrer par l’exemple, on sort une propriété de son cadre d’application pour l’utiliser là où ça nous arrange, on part de la conclusion, etc…

Il ne me semble pas qu’il y ait un professeur de mathématiques en France ni dans le monde qui ne ce soit pas battu avec des générations entières pour que de telles choses se reproduisent le moins possible chez leurs élèves. Mais on voit qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir pour que, une fois l’âge de l’apprentissage passé, les adultes ( même qualifiés) ne retombent pas dans ces mêmes travers pour aboutir à des conclusions hasardeuses et pré-choisies. Alors, avant de se lancer dans des explications boiteuses, les adultes-journalistes devraient peut-être ressortir leurs vieux cours de maths et se poser la question de savoir si leurs lacunes tiennent plus de la méthode d’enseignement ou à leur incapacité à l’assimiler, ce que laisserait croire, jusqu’à maintenant, bon nombre d’articles que j’ai lu sur le sujet.

Pourquoi les mathématiques n'auraient-elles pas droit au doux statut médiatique de "discipline comme une autre"?

 

Le jardin d'Eden

 

Commentaires

  • " Pourquoi les mathématiques n'auraient-elles pas droit au doux statut médiatique de "discipline comme une autre"? "

    ...Parce que ce n'en est pas une!
    -elle est présente dans toutes les autres sciences;
    -elle est un arbre croissant de NOUVEAUX concepts dépendant les uns des autres; quand l'un n'est pas assimilé, la compréhension des "suivants" est compromise;
    -ses formalismes sont plus éloignés de ceux des autres sciences, que ces derniers ne le sont entre eux;
    -parce que, dans nombre de sociétés modernes, elle joue, de fait, si pas de décision, un rôle social SÉLECTIF (le grand méchant loup qui mordra vraiment) et donc génère de la PEUR.

    Encore d'autres, de ces raisons:
    -parce que les connaissances implicites sous-jacentes à sa compréhension (donc à son enseignement) sont sans commune mesure (en nature et en quantité) avec celles des autres disciplines et y jouent un autre rôle (le "sens commun" n'en est qu'un exemple);
    -parce qu'elle plonge l'enseignant et l'enseigné dans un paradoxe qu'il faudra analyser, à savoir qu’une part de la "formation" mathématique consiste justement à créer ces sens communs (des maths), ces savoir a priori implicites, tout en faisant appel à eux de façon pas toujours explicite (ou même consciente!) dans les enseignements.
    Il y a de la circularité dans l’air, non des raisonnements eux-mêmes, mais des outils de pensées nécessaires à leur enseignement, à leur partage.
    Ainsi, l’élève est en pleine insécurité intellectuelle, il se demande AVEC RAISON ce qu’on lui veut, lui qui ne connaît pas les règles du jeu, les coulisses de l’affaire, les agendas cachés pédagogiques (les connaîtrait-ils ces derniers, qu’il ne pourrait pas les comprendre). Et cette insécurité n’existe pas dans les autres disciplines.
    -parce que la relation de pouvoir existant dans certains lycées ou dans dans certaines classes entre prof et élèves interdit de questionner le cadre! et que la bonne réponse à certains problèmes («il n’a pas de sens») revient justement à *contester la pertinence* de la question posée.
    Dire que la question est un piège (ou n’a pas de sens), représente dans ce contexte, une audace intellectuelle et comportementale qui contraste avec ce qui est sans cesse demandé aux élèves, voire exigé d’eux, une certaine soumission à l’autorité (parfois justifiable par ailleurs, c’est un autre débat).

    Donc, que l’âge du prof soit donné comme résultat d’un calcul de nombre de tables n’est pas aberrant ni étonnant: l’élève moyen — qui n’est pas dupe évidemment! — croit voir dans le problème posé une demande de preuve de capacité de calcul, de raisonnement *mathématique* qui, a priori, peut ne pas devoir nécessairement tenir compte du sens physique des éléments du problème.

    Dès lors, s’interroger sur le sens des mots et des langages mathématiques est nécessaire évidemment. Mais absolument pas suffisant. De telles dimensions socio-psychologiques doivent être prises en compte. Ce qui est beaucoup moins le cas pour l’Histoire, la géographie, l’anglais, la biologie, la chimie, la physique,...

    Une dernière différence, de taille! Toutes ces disciplines travaillent surtout des réalités observables du monde. Le statut des maths, de ce point de vue, est tout différent, qui porte autant sur une «réalité extérieure» que sur la nature de la pensée humaine...
    À moins d’être platonicien pur et dur, et encore: les structures mathématiques existeraient-elles de toute éternité dans l’Univers, ce sont encore nos outils de pensée (même aidés de machines) qui nous en ouvrent l’accès, et qui sont, par ce mouvement-même, modelés par elles.

    Et voilà pourquoi les mathématiques ne pourraient évidemment pas avoir droit au statut de "discipline comme une autre", que ce statut soit médiatique ou autre. Ni au "doux" statut (ce rêve est compréhensible). Parce que c’est une discipline "dure", en tant qu’elle engage la pensée humaine elle-même *en profondeur*, et l’Être de l’élève, bien plus que les autres disciplines, me semble-t-il.

  • Lien en rapport :

    http://www.lebloghomeschooling.com/2007/12/stella-baruk-et.html

  • Merci Alexandre pour cette analyse. J'aime tout particulièrement le passage sur la circularité des outils de pensée.

    J'ai effectivement choisi cette interrogation naïve en guise de conclusion pour questionner l'approche médiatique que je trouve réductionniste et étriquée devant autant de complexité. Il est d'ailleurs étonnant que dans la société de la complexité, les mathématiques qui la représentent le mieux, fassent autant question, jusqu'à visiblement les supprimer des enseignements obligatoires après la seconde comme il semble en être question. Ce n'est pas tant le constat que je dénonce ici, qui je crois fait relativement l'unanimité, ce sont les jugements et les solutions qui sont envisagées qui ne dépassent guère souvent l'idée d'une recette miraculeuse individuelle portée par l'enseignant dont les seules méthodes généralisées à l'ensemble du système pourraient portées leur fruit. Or c'est là à mon avis que se situe l'insuffisance des analyses car entre l'idée du précepteur et l'idée de classe, y a-t-il continuité ou discontinuité? En d'autres termes l'espace de l'éducation est-il discret ou continu ? Pour simplifier, peut-on envisager d'autres stratégies collectives que celles qui ont été parcourues et qui ont abouti à la classe au XVIème siècle? De telles questions me semblent faire défaut pour sans cesse retomber dans le piège disciplinaire ou idéologique lorsqu'on doit y apporter une réponse. C'est ce que j'ai voulu faire passer à travers cet article même si la question n'est pas formulée ainsi. Dans cet exemple, le constat de Mme Baruk est presque un aveu d'échec du système entier. Les questions qui devraient suivre et être largement fouillées par les journalistes sont les suivantes: Est-ce du aux méthodes d'enseignement qui dépassent le cadre des mathématiques ou est-ce seulement un constat interne à la discipline? Les structures interviennent-elles dans ce constat ou est-il indépendant de la structure d'enseignement? Quelle est la profondeur de ce constat et son ampleur par rapport aux attendus de la société à un moment donné. Etc... Pour beaucoup d'élèves l'abstraction mathématique est un cap difficile à franchir à la vitesse imposée par l'école. Les traumatismes individuels laissés peuvent être profonds. C'est à mon avis une des raisons pour lesquelles le traitement médiatique est de première importance. Mais j'ai bien peur qu'à défaut si la réforme en cours aboutit, on se retourne rapidement vers un passéisme moribond, où les mêmes journalistes qui dénonçaient "la dictature des maths" se rappelleront, nostalgiques, du temps où tout le monde en faisait.

  • Á Olivier Leguay
    Á propos d’un article paru dans Le Monde 2 du samedi 13 septembre 2008, vous proposez une “note” de lecture intitulée "Stella Baruk a-t-elle “à peu près” raison ou “environ” tort ? Est-ce bien la question ?" titre dont il conviendrait selon vous de "sentir toute la subtilité". J’ai donc essayé de me plier à cet exercice, et d’affronter cette double interrogation en lectrice de bonne volonté, bien que quelque peu déstabilisée par cette formulation en effet inhabituelle.
    Première question
    Me demandant si je me sentais plus en sécurité avec "Stella Baruk a-t-elle “à peu près” tort ou “environ” raison ?" il se trouva que cela ne me réussissait guère mieux. C’est alors qu’il m’apparut que, si cultiver l’“à peu près” est à peu près possible en toutes circonstances, l’“environ” de “environ tort” est un barbarisme, auquel il est ardu d’attribuer du sens. “Environ”, disent en effet les dictionnaires précède un nombre, une quantité, un temps ou un espace. Face au questionnement vertigineux consistant à tenter d’assimiler “tort” à l’une de ces catégories, j’ai fini par renoncer.
    Deuxième question
    "Est-ce bien la question ?" Alors, là ! Pourquoi poser une première question pour ensuite l’annuler, à peu près, par la suivante ? Et pourquoi consacrer à l’ensemble un tel développement ?
    Vous dites être très satisfait de votre titre. Eh bien moi aussi, et voici pourquoi. Comme vous expliquez que "tant que l'on ne donne pas la précision avec laquelle on travaille, utiliser “à peu près” ou “environ” , équivaut à parler pour ne rien dire", et que vous ajoutez à une question qui est donc le comble de l’inconsistance un "est-ce bien la question ?" mettant en jeu l’essence ou l’existence de cette même question, me trouvant en grand danger de perdre les quelques repères d’écriture et de pensée dont je dispose aujourd’hui, j’ai renoncé à l’invitation de "sentir toute la subtilité de ce titre", et me voici plus tranquille.

    Oubliant le titre, le corps du développement apparaît plus rassurant. Plus familière est en effet la notion de contradiction, même si elle m’est reprochée. Á une « mauvaise réponse » d’un élève, je donne semble-t-il deux interprétations supposées s’exclure. « La mauvaise réponse ne peut être utilisée pour justifier deux situations contraires, d’une part la faire apparaître comme un symptôme de dysfonctionnement mathématique et d’autre part la solliciter pour permettre de s’appuyer dessus, celle-ci ayant une valeur implicite de question ».
    Ainsi formulé, ce reproche pourrait à son tour être écarté comme manquant de consistance. Car, qu’est-ce, en effet qu’un dysfonctionnement mathématique ? Qu’est-ce qui « dysfonctionne » ? Les mathématiques ? Les programmes ? L’élève ? Le professeur ? Et que sont des "situations contraires" ? Comble d’imprécision, malheureusement dommageable dans la mesure où, axiomatiquement proposée comme consistante, elle est source d’implications diverses, contre lesquelles je me bats depuis bien longtemps.

    Essayons, pour nous y retrouver, de formuler les choses autrement, bien que d’une façon encore un peu vague: une “mauvaise réponse” rend compte soit de la négativité soit de la positivité d’une “situation”. Il n’est pas possible d’utiliser les bénéfices qu’apportent l’une et l’autre interprétations.
    Nul(le) n’est tenu(e) d’avoir lu l’ensemble de mes œuvres. Mais même dans cet article du Monde 2 , surtout tourné vers le travail fait dans les écoles, il est dit ce qui est amplement exposé dans nombre de mes livres, articles ou interventions, à savoir : « …il ne faut plus parler d’enfants qui ont des troubles. Mais plutôt interroger la matière enseignée et la manière de l’enseigner ». Matière, et manière. Nulle contradiction, alors, à tenter d’analyser l’une et l’autre.
    Ainsi, monsieur Leguay, l’exemple que vous donnez vous-même, d’un problème proposé à vos élèves, qui m’a bien amusée, est d’ailleurs parfaitement éclairant. Je le reproduis ici :
    « Pour ranger cet atelier de peinture en désordre, il me faut 6 jours, dit Pierre.
 A moi, il me faut 12 jours, dit Marie.
 Si Pierre et Marie travaillent ensemble, combien de temps mettront-ils ? »
    avec votre commentaire pour ce qui est des réponses obtenues : « Comment se fait-il que dans une bonne classe de 4ème, le travail étant à faire à la maison, avec suffisamment de temps et de possibilités d'échanges, les trois quarts des élèves m'aient donné la réponse (6+12)/2= 9 jours ? Ce qui induit que deux personnes mettent plus de temps qu'une seule à ranger l'atelier ! Ce n'est pas tant la réponse fausse qui me surprend mais la généralisation d'une réponse aberrante, sans esprit critique. »
    Matière : une quantité à obtenir à partir de deux autres, réflexe de la moyenne, comme dans tant de problèmes où elle intervient. Ce qui peut-être s’est formulé dans les têtes: à deux, on met moitié moins de temps. Mais ce qui est bien plus efficace, c’est de leur demander ce qui s’est passé dans leurs têtes, et ceci, quand on a l’avantage d’assister à la « naissance » de l’erreur. Ces erreurs identifiées à l’état naissant, comme en chimie, sont ce que j’appelle les erreurs fraîches. Elles ont toutes, au moment où elles se produisent, des “raisons” qui, bien souvent sont des “interprétations” très éclairantes pour qui n’y penserait jamais. En particulier, le hiatus entre premier et second degré, un parti-pris de linéarité qui se déchaîne sur les identités remarquables ou sur cos(a+b), tous phénomènes non aberrants mais portés par une pratique antérieure. Les accepter, séparer une pratique “commune” – le premier degré, la proportionnalité – d’une pratique savante, qui n’est plus celle d’un éventuel bon sens, est extrêmement fécond, éclairant la matière.
    Ici, évidemment, l’énoncé étant transparent, il n’y a aucun barrage de langue. Puisque c’est la langue qui est mon “cheval de bataille”, je dirai une évidence, c’est qu’elle est surtout un barrage premier, indépassable par soi-même quand un seul mot, un seul signe incompris “trouent” un texte. Cette élève de 4ème qui au lieu des diagonales d’un rectangle a tracé ses médianes, et qui a “tout raté ”, cet autre qui ne sait pas ce que “consécutifs” veut dire, ce f(x) compris dans un premier temps comme f×x , etc. Les erreurs fraîches sont un formidable révélateur de ce qui, pour un professeur, “va de soi” dans la langue utilisée, mais pas du tout pour qui la découvre. Le travail sur la langue, ainsi, est absolument nécessaire, mais évidemment non suffisant.
    Manière : alors qu’aucun barrage de style ou de formulation n’est donc en jeu, avec cette “bonne classe de 4ème”, avec ce bon professeur – mais si, mais si ! - il est clair que ce qui s’est produit ici est bien de l’ordre d’une parfaite indifférence face à la “réalité” de la “situation” proposée, et que de vagues analogies de pensée commandent à de vrais calculs, qui, lorsqu’ils sont justes – ce qui est le cas – donnent un parfait sentiment de légitimité. Cela pose quand même quelques questions sur une façon de travailler qui, depuis l’enfance, se focalise sur le calcul juste plutôt que l’idée, sur la note obtenue plutôt que la compréhension, et qui cherche à obtenir cette compréhension sur un “concret” hors de portée des enfants, plutôt que sur une réelle familiarité avec les nombres. Cette élève de 6ème qui calcule “en colonnes” 51, 25 + 43 et trouve 51, 68 , soit ! Mais quand il s’agit de 51,25 euros et 43 euros, qu’ira-t-on penser ? En fait, ce sont les nombres qui ont “perdu leur âme”, et ce ne sont pas des euros qui pourront la leur restituer.
    C’est bien pourquoi je propose aussi d’aller chercher jusqu’au sens du non-sens dans les devoirs d’élève, car il est révélateur de la façon dont se sont tissées pour lui matière et manière. Et oui, si on trouve en terminale des “compressions d’erreurs” – que j’appelle des “Césars d’erreurs” - devenues inextricables et dont on voit mal comment on peut, en classe, arriver à bout, c’est bien parce qu’au moment où chacune s’est produite - telle (a+b)2= a2+b2 - elle n’a pas été légitimée, par exemple par une explicitation de la rupture de la linéarité rassurante de 2(a+b), ou tout autre moyen qui prend en compte une réaction non aberrante, mais normale quand elle se produit, et qui non traitée, devient hallucinatoire.
    Si je me suis intéressée à ces premières années d’école, c’est bien parce que, les années et les incompréhensions s’accumulant, pour trop d’élèves, les choses deviennent bien souvent inextricables, et le travail de leurs professeurs mission quasi impossible. Je propose donc que, dès l’enfance, on travaille autrement. Malheureusement, on ne semble pas prendre cette voie. Vous verriez les petits entrant au CP terrorisés par l’évaluation qui les accueille à peine l’année commencée, vous comprendriez que le processus qui consiste à renoncer au sens, à le remplacer par ce que j’appelle la simulation du sens se met en place très tôt. Et le formidable travail des enseignants n’arrive souvent pas à atténuer ces effets pervers d’un fonctionnement institutionnel qui se nourrit de notes et de jugements portés sur les capacités des élèves.
    Car ceci rejoint votre question, “naïve” en effet : les mathématiques n’auront jamais “un doux statut de discipline comme une autre”. Il y a fort bien été répondu par votre premier commentateur. J’y ajoute qu’elles ont depuis toujours été à ce point accompagnées d’un préjugé d’intelligence pour qui en faisait, et de son manque, ou son contraire, pour qui n’y parvenait pas, que les effets de réussite ou d’échec s’en trouvent multipliés. Quant aux médias, ils ont, avec les constants changements, les constantes remises en question, les constantes constatations de l’échec de trop d’élèves depuis plus de trois décennies, de quoi s’alimenter.
    Le ton apolyptico-politique supposé être celui de la journaliste est aujourd’hui celui de nombre de mathématiciens, professeurs de mathématiques et autres témoins d’une situation plus que sérieuse. Je propose pour ma part que l’on admette que c’est à l’école que se construit l’essentiel de ce qui se muera dix années plus tard en aptitude à étudier des fonctions ou résoudre des équations différentielles, et que plutôt que de chercher à me donner « à peu près raison » ou « environ tort », l’on accompagne d’analyses sérieuses ce que quarante années de lutte contre l’échec en mathématiques m’ont amenée à proposer comme réflexion sur la matière et la manière. Ni à peu près, ni environ.
    Bien cordialement
    Stella Baruk

  • A Mme Baruk

    Je suis très honoré que vous ayez répondu à ma note dont effectivement votre nom apparaît dans le titre. Comme vous l’avez constaté, le Web 2.0 possède ses règles dans lequel le titre d’une note est essentiel. Votre nom y apparaît et c’est d’ailleurs ce qui nous permet en ce moment d’échanger et cela me ravi. Il y a comme quelque chose de magique. Votre réponse sur mon blog me rend encore plus satisfait de mon titre, puisque d’une part il me permet de prendre contact avec vous ( ce qui ne m’a absolument pas traversé l’esprit lors de son écriture ) et d’autre part il semble que vous en ayez saisi toute sa subtilité puisque l’impossibilité de l’enfermer dans un sens plutôt qu’un autre, laisse toute la place au « jeu » du dialogue auquel vous vous êtes prété en rédigeant ce long commentaire. Comme vous l’avez certainement compris, le contenu de cette note pointe plus sur les incessants messages apolyptico-mathématiques ( et mythico-mathématiques) des journalistes que sur une quelconque critique de vos positions que j’ai insuffisamment étudiées pour me permettre de le faire. Je pense, en effet, que le discours des médias rentre à part «environ» égale avec le processus précocément hyper-sélectif des classes prépas dans la construction de l’inconscient collectif français. Cela entretient l’état d’esprit avec lequel adultes, adolescents et enfants approchent les mathématiques. Ces deux facteurs sont certainement aggravants dans notre pays mais ils n’expliquent en rien la difficile position de l’enseignement des sciences et en particulier des mathématiques dans de nombreux pays, ici comme ailleurs et par exemple en Allemagne : http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/052/52842.htm. Je suis, de plus, absolument opposé à l’idée qu’il puisse y avoir une recette miracle pour amener au « tout est mathématiquement pour le mieux dans le meilleur des mondes de leur apprentissage » au sein d’un système scolaire global. J’ai donc lu cet article du Monde dans lequel vous figuriez en bonne place et j’ai eu l’idée d’en faire une note… Ne sachant pas trop comment présenter les choses, j’ai décidé de concevoir un titre au contenu paradoxal, ce qui me laissait la liberté totale «par une sorte d’équivalence mathématique» de produire par suite ce que bon me semblait. Je n’ai nullement souhaité d’une part vous blesser, car ce n’était vraiment pas le but. Je présente ma position face à des articles journalistiques que je juge trop caricaturaux, mettant souvent en scène les choses à la façon western, avec les gentils et les méchants. Il y a d’un coté les méchantes mathématiques, dont on découvre au fil de l’article qu’elles ne sont pas si méchantes que ça et des profs dépassés ou insuffisamment informés qui présentent les méchantes mathématiques. De l’autre on trouve les gentils élèves tous prêts à apprivoiser «la bête» dont une simple mutation suffirait à rendre l’opération de transfert facile. Toutes les variantes de présentation possibles apparaissent ( maths ludiques, TICE, méthode X… ) qui seraient l’opérateur de transformation de la bête en Prince charmant… Un autre article que je viens de lire nous dresse d’ailleurs la scène du western spaghetti en énonçant les vertus inexploitées de l’apprentissage des mathématiques par le jeu . Je ne suis pas contre tout cela mais a-t-on le droit de présenter les choses de façon aussi tranchée et idéalisée ? Peut-on réellement encore expliquer les choses de cette façon alors que presque tous les états occidentaux (comparables au nôtre) butent sur les mêmes écueils que nous ? Non personnellement je ne pense pas car les mathématiques sont une matière difficile, exigeante, engageante pour celui qui la reçoit et celui qui l’enseigne et réduire la possibilité d’un apprentissage sans douleur à une méthode non appliquée relève de la supercherie intellectuelle car si tel était le cas, elle s’en serait trouvée immédiatement généralisée à tous les pays. On retrouve un peu ce même schéma devant l’introduction des TICES dans l’enseignement, dont l’injonction d’utilisation, par tous et chacun (ce qui n’est pas la même chose), enseignants comme élèves, rend l’opération extrêmement délicate. Cette situation est étendue pour ne pas dire internationale. Alors pour toutes ces mises en scène de l’enseignement des mathématiques supposé réel ou idéalisé : je ne cautionne pas !

    Il y a d’un coté des mathématiques scolaires dont la gradation des niveaux en fonction des publics visés met ou non, en échec ou en situation de réussite, un individu d’un âge donné. Il y a de l’autre l’appétence de chacun au traitement des données chiffrées dont il ne peut être nié qu’il n’est pas du goût de tous. Il y a aussi l’appétence pour la représentation géométrique des formes. Il y a la facilité avec laquelle un élève ou un apprenant use de la langue maternelle pour construire et formuler des raisonnements et concepts abstraits. Il y a la capacité de lecture, de comprendre ce que l’on lit et de travailler avec un système symbolique. Et il y a la faculté qu’a chacun de plus ou moins se concentrer, de s’abstraire dans une tâche, ce qui pour ma part, est l’un des facteurs les plus dispersants dans notre société actuelle.

    Tout comme vous, je pense effectivement que le système ne remplit pas complètement sa mission, mais j’ajoute qu’en plus de votre point de vue ( peut-être l’avez vous écrit aussi ?), il est inacceptable de mettre en injonction des jeunes enfants de produire concepts et techniques mathématiques ( ou dans d’autres disciplines) sans auparavant les préparer à la concentration, préalable qui intervient au moins autant que les capacités intellectuelles puisqu’elle permet à compétences égales ou moindres, de donner nettement l’avantage à celui qui la possède. Nous voyons bien que le système scolaire produit maintenant des élèves dont les attendus ne répondent pas totalement à ceux demandés en termes de compétences pour l’enseignement supérieur (c’est votre conclusion), qui est d’ailleurs aussi parallèlement entrain d’entreprendre le nécessaire travail d’ajustement pour faire suite à la massification. Des élèves qui ont su mobiliser des ressources inconnues par d’autres parviennent à des stades où les premiers s’arrêtent déjà. Je postule qu’une des clés est la capacité à se concentrer, chez soi et en classe. Comme pour ce que je viens de dire précédemment, je ne pense pas qu’il y ait une quelconque solution miracle, mais tout comme vous, je crois que certaines règles du « jeu » scolaire sont implicites et qu’elles sont tues, ce qui ne met pas l’expérience en situation initiale d’équiprobabilité. La notion de concentration est évincée par un implicite scolaire qui met tout enfant producteur de contenu écrit, naturellement au dessus de ses camarades incapables d’en produire autant car ils maîtrisent moins les bases de la lecture, de l’écriture, de l’expression et des codes associés à leur manipulation. C’est cependant les élèves qui parviendront à la mobiliser chez eux ou en classe, de façon à réorganiser le classement avec leurs pairs, qui sortiront du système scolaire par le haut. L’élève producteur de contenu est bien souvent classé devant l’élève qui en produit moins et celui qui parvient à se concentrer devant celui qui n’y parvient pas. Il y a donc au milieu du classement un combat entre production et concentration. Ce qui est caché c’est que la capacité de chacun à se concentrer permet une réorganisation complète du classement. Alors que le discours sur la production de contenu est tout à fait intériorisé par le système scolaire, ce dernier semble avoir une indigestion lorsqu’il s’agit d’adopter un discours sur la concentration. Peut-être parce que la concentration n’est pas une discipline! Mon message est donc le suivant : que chacun soit informé des règles du jeu et des implicites scolaires (parents, élèves, professeurs). Et pourquoi ne pas évaluer la capacité des élèves à se concentrer, au moins pour que chacun ait un feed-back à ce sujet ? Que le système scolaire forme aux règles et aux stratégies qu’il demande de maitriser pour parvenir à en sortir de façon optimale. On voit bien que ce système scolaire bute sur ces problèmes de concentration qui prennent des formes différentes (ennui en classe, EIP, perte de l’autorité des enseignants, bruit en classe, difficultés d’écoute et d’attention, difficultés de la mémorisation et de son temps court ou long suivant les notions, relativisme permanent évitant la remise en question, utilitarisme, obtention différée d’un résultat mal vécue, faible capacité à la recherche prolongée, recherche de solution vécue de façon positive et non négative, production sans sens, réponses aberrantes sans rétrocontrôle, et même parfois violence… ).
    C’est donc devant le même tableau caricatural brossé par des journalistes mimétiques depuis trop d’années que je voulais sortir quelques griffes. Que le système scolaire ne prenne pas en compte la diversité du public qu’il reçoit, j’en conviens, mais qu’à contrario, on ne fasse pas croire à la méthode miracle, qui permettrait la guérison de tous les maux mathématiques de tous les élèves et que c’est parce que cette méthode n’est pas appliquée que l’échec est là et que la réussite pour tous ne l’est pas. Les choses sont plus complexes que cela et en plus, elles sont mouvantes. Elles ne peuvent pas se réduire à « tous des crétins », « le système est pourri » ou « il existe une méthode miracle ». Parlons enfin peut-être, au moins un peu de la concentration et de sa valorisation individuelle ou collective, tout comme de la production. Cette concentration qui permet de faire moins d’erreurs. Cette concentration qui permet d’affirmer un résultat en mettant sa main à couper en échange. Ce retour sur soi qui permet de dire qu’on ne produit pas d’erreur. Cette concentration qui permet de faire des cours dans le calme, qui laisse place à l’écoute de l’autre. Celle qui permet d’apprendre et de retenir. Où sont les techniques d’apaisement des enfants, de concentration, les techniques de fixation des connaissances chez soi ou en classe? L’incapacité du système scolaire de parler de ce sujet envoie directement les enfants «mathématiquement malades » chez le fournisseur de cours particuliers, qui lui pas plus que le système scolaire, fait un travail sur la concentration mais encore une fois de plus sur le contenu. Et si l’on a un peu la nostalgie des performances d’antan, c’est que la concentration des élèves sollicitée par le système scolaire d’alors, était beaucoup plus concrète pour les élèves et les parents qu’elle ne l’est maintenant. Il est assez surprenant que cet implicite ne soit pas clairement identifié comme source de déstabilisation du système tout entier et qu’il ne soit pas vu comme une abstraction devenue difficile à appréhender… Mais peut-être qu’il n’y a tout simplement pas de département « Concentration » à l’Université et qu’il est impossible d’en parler et d’y faire appel ! Le système scolaire ne doit-il pas aujourd’hui réfléchir sur les conditions initiales dans lesquelles le savoir s’installe individuellement ( pour chacun ) et dans un groupe ( pour tous ) tout en cessant de produire des figures mythiques et idéalisées des apprenants et des groupes d’apprentissage? Les journalistes, quant à eux, ne peuvent-ils pas faire une trêve de la caricature de l’apprentissage scolaire ?

    Je vais arrêter là mon militantisme pour la défense de la concentration et revenir à nos moutons, c’est à dire votre commentaire.

    Vous dites dans votre commentaire :
    Oubliant le titre, le corps du développement apparait plus rassurant. Plus familière est en effet la notion de contradiction, même si elle m’est reprochée. Á une « mauvaise réponse » d’un élève, je donne semble-t-il deux interprétations supposées s’exclure.

    Je dis : Il n’est nullement question d’un reproche quelconque à votre égard et vous l’avez très bien développé par la suite. Ma remarque englobe toute l’institution scolaire pour mettre en avant le paradoxe que ce système ne peut en même temps, demander de façon saine et claire à un élève de se décomplexer face à ses erreurs, de les annoncer comme constructives et de se saisir par ailleurs de la première erreur venue (écartement de la marge, majuscules sur le nom, prénom, date…. accents, oubli exceptionnel, citation approximative, démarche erronée…) pour le sanctionner. Comment un élève peut-il faire la difficile distinction entre l’erreur permise, l’erreur tolérée et l’erreur interdite en fonction de leur nature et des moment auxquels il les produit ? Ma phrase est d’autant moins un reproche que je m’appuie justement en cours, sur la production de la totalité des résultats envisagés avant de débattre de celui qui semble le plus probable afin de parvenir au bon résultat. Mais je suis moi-même en contradiction avec ce que je viens de d’énoncer plus haut. Des élèves de lycée le comprennent sans doute plus facilement que des élèves de primaire ou de collège (et là vous êtes mille fois plus informée que moi…).

    Pour tout le reste de votre développement, je suis tout à fait d’accord avec vous. J’espère que nous aurons encore de nombreuses occasions d’échanger nos points de vue qui ne semblent pas être très divergents. Nos « chevaux de bataille » sont certainement complémentaires. Je vous propose de vous inscrire sur le petit réseau naissant « Maths 2.0 » à l’adresse suivante : http://mathsdeuxpointzero.ning.com/ que j’ai créé, afin d’y partager quelques échanges en public et/ou en privé et je m’engage si c’est le cas, à inviter quelques personnes avec lesquelles vous aurez le plus grand plaisir à échanger.

    Bien cordialement.

    Olivier Leguay

  • bonjour! je ne prends connaissance de votre - ample - commentaire de ma réponse qu'aujourd'hui.
    Il y aurait, en effet, fort à dire.
    Tout à fait disposée à débattre et échanger des points de vue sur de nombreuses questions qui méritent clarification.
    Bien cordialement, donc
    Stella Baruk

  • Je profite de votre message pour relire tout ce que j'avais écrit. Je ne suis pas mécontent de cette production et effectivement certains points méritent approfondissement. J'ai un peu axé le commentaire précédent sur la concentration dont la pratique, ou du moins l'annonce comme composante fondamentale, de l'apprentissage individuel et collectif structuré me semble tu. L'apprentissage des "règles du jeu" ( tant du milieu scolaire lui-même, du comportement individuel que celles présentent dans des exercices) leur respect, leur non respect et surtout les implications de leur modification devraient aussi être l'objet de toutes les attentions dans le milieu scolaire à tous les niveaux d'enseignement. La complexification-simplification des attendus, le décalage entre le phénomène mesuré et la conclusion donnée par le système scolaire devraient aussi être mise en débat. Les sujets sont vastes et les explications simples ne me semblent pas adaptées. Je ne suis pas un spécialiste et mes réflexions sont plus des questions que des réponses.
    Au moins dans le cas particulier des mathématiques, il me semble qu'il faille modifier la philosophie sous-jacente (d'origine platonicienne) en une philosophie de la pratique afin que les mathématiques du Ciel des Idées accessibles à quelques rares élus soient remplacées par l'activité mathématique, accessible immédiatement à tous. Pratique ne veut pas nécessairement dire expérimentation mais c'est l'idée, par exemple, que ce n'est pas la démonstration qui est importante mais sa pratique ou que ce n'est pas le résultat d'une factorisation qui est important mais la factorisation en tant qu'activité. Et comme pour les pistes de ski et les voies d'escalade, chacun n'est pas obligé de choisir la même couleur. Tous les élèves sont regroupés dans l'activité et chacun y trouve son compte. Ainsi donc les mathématiques, si tant est qu'on puisse les concevoir ainsi dans l'enseignement, seraient vues une activité interne émancipatrice et externe explicatrice dont la diversité des supports devrait être pensée en terme de différences de niveaux et l'évaluation ( du moins une partie ) en terme de mesure d'activité. Par exemple l'idée de socle commun me parait très mauvaise car elle ne place pas la pratique au centre et ainsi éliminerait de fait du système, des élèves de bonne volonté dans l'incapacité d'atteindre dans ce système tel ou tel niveau. Un discours sur la pratique me paraitrait plus sain en intégrant la totalité de la personne dans l'objectif à atteindre, celui-ci pouvant de plus être atteint à chaque instant. La classe redeviendrait le lieu privilégié de la pratique du savoir et de l'activité physique et non du lieu de la réception des connaissances. L'enseignement ne serait plus vu comme la donnée de nombreux objectifs à atteindre (impossibles pour certains et trop faciles pour d'autres ) mais comme la nécessité pour chacun de pratiquer l'activité à sa mesure ( l'EPS a d'ailleurs intégré la mesure de cette adéquation dans son évaluation). L'évaluation de l'activité serait découplée de celle de celle de niveau, déculpabilisant ainsi celui pour qui l'objectif annoncé est trop ambitieux mais au contraire contraindrait celui dont les possibilités sont là, à adapter sa pratique à celles-ci.

    La modification de la philosophie portant notre système éducatif me parait fondamental pour y apporter un infléchissement. Cela n'a pas été fait jusqu'à maintenant et si l'élève a été placé au centre du système, il ne l'a été que pour construire ses savoirs, charge bien trop lourde et abstraite pour la plupart de nos élèves.

    Je n'ai aucune compétence particulière pour parler de ces sujets et ma naïveté est sans doute consternante mais je ne m'interdit pas de le faire.

    Si c'est bien le mouvement philosophique platonicien qui porte le système éducatif alors son remplacement par un autre demandera encore des décennies, peut-être des siècles. Il faudra tout simplement un peu orientaliser la philosophie occidentale, ce qui promet quelques beaux jours !
    Je reste aussi à votre disposition pour débattre de quelques sujets, ici ou ailleurs.

  • Un lien que je viens de découvrir et qui complète ce que le commentaire précédent:
    À quoi sert l’innovation pédagogique ?

    http://www.cndp.fr/DossiersIE/tribune/tribune200810.htm

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