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Pensées - Page 7

  • Le sacrifice de la géométrie sur l'autel numérique

    Le tonnerre gronde sur le monde de l'enseignement des mathématiques et dans la communauté mathématique en général. Il serait question de supprimer l'enseignement de la géométrie en classe de seconde à partir de l'année prochaine, du moins dans sa forme classique et pure.

    Les protestations sont vives, pointant du doigt le manque qui serait associé au défaut de la pratique géométrique par les jeunes lycéens, dans la formation des esprits et le développement d'outils et de raisonnements essentiels au monde mathématique.

    Bien plus qu'anecdotique, l'abandon de la géométrie multi-millénaire est symbolique et sonne comme le témoin d'une société en pleine mutation où le rapport au numérique est devenu prépondérant. La France, citée parfois comme terre des mathématiques semble être comme coincée entre tradition et adaptation au monde qu'elle a contribué en grande partie à modeler.

    Apprendre à raisonner de façon "traditionnelle" ou raisonner à partir d'objets numériques entièrement crées par l'ordinateur, voilà une nouvelle croisée des chemins qui définit la pensée humaine non plus exclusivement de façon absolue et directement en contact avec les objets mathématiques mais de façon relative, c'est à dire en contact avec des objets que cette même pensée peut créer numériquement.

    L'homme est-t-il donc aujourd'hui un "homo sapiens absolutis" ou un "homo numericus relativis" ?

    Voilà donc apparaître au travers des changements de programmes de mathématiques et la difficile insertion des Tices dans l'éducation, une question philosophique majeure. L'homme doit-il  encore se penser et penser de façon absolue ou de façon relative au monde numérique de plus en plus omniprésent et complexe qu'il créé et qui devient  plus efficace chaque jour?

    Sous cette problématique se projettent dans l'espace pédagogique, des questions qui n'en sont pas moins fondamentales : que devient un exo de maths, un devoir maison, une connaissance et un savoir faire mathématique dans le monde médiatisé par le numérique? L'honnête homme futur devra-t-il plutôt être en mesure de traiter un problème de façon absolue, c'est à dire de développer le formalisme et le code qui lui permettront d'accéder à la réponse ou bien le traiter de façon relative, c'est à dire médiatisé par et dans le monde numérique ?

    Que devient la figure de l'enseignant ?

    Le professeur d'anglais doit-il s'armer de patience pour corriger les défauts des sites de traduction en ligne récupérés sur les fichiers des élèves, le professeur de philo doit-il devenir un expert dans le plagiat de dissertations et celui de mathématiques un expert des contresens liés à l'interprétation et à l'utilisation de résultats  produits de façon numérique ?

    Sous cet angle, la disparition plus ou moins rapide de la géométrie des programmes d'enseignement marquerait une rupture symbolique profonde dans la philosophie de la transmission française mais il serait faux de croire que la géométrie des anciens a toujours été en odeur de sainteté dans l'enseignement. Au début du XVIIIème, certains prêtres la considéraient comme dangereuse, trop proche du sensible,  alors que le calcul moins visuel, développait mieux les capacités d'abstraction (et donc rapprochait de Dieu). La géométrie était vue comme utilitaire, elle était plus associée au calcul de la longueur des fortifications et de la trajectoire des obus qu'à celui de l'aire des lunules d'Hypocrate. Je ne vais pas refaire ici toute l'histoire de l'enseignement de la géométrie mais il me semble bien  qu'elle fut aussi un peu remisée lors de la volonté d'enseignement des maths modernes et puis elle est revenue après, comme témoin de la beauté et de la pureté du raisonnement que les collégiens entraperçoivent sous la forme du tryptique : " je sais que... j'applique... je conclue...".

    La rupture est celle d'accepter qu'aujourd'hui l'homme "post-moderne" est médiatisé par l'univers numérique et doit se vivre au travers lui.

    Un symptome de cette évolution est le fait que You Tube est aujourd'hui le deuxième moteur de recherche juste après Google ( ICI ). Il semble donc inexorable que l'humanité va de plus en plus tendre à se représenter elle même de façon numérique.

    Alors qu'est ce que raisonner dans le monde de demain ? En quoi les mathématiques peuvent-elles être un apport fiable à la future investigation rationnelle et quantifiée? Les raisonnements historiques sont-ils toujours utiles dans le monde numérique médiatisé? Le raisonnement pur et formel est-il un préalable à d'autres formes plus évoluées et complexes d'approches? Est-il incontournable ou au contraire est-ce un frein piégeant et enfermant la pensée dans un système hypothético-déductif trop rigide pour accéder aux connaissances de demain?

    Qu'est-ce que faire des mathématiques demain?

    Est-ce faire un raisonnement géométrique, savoir factoriser... savoir se débrouiller seul ou par soi-même ?

    Est-ce mutualiser, associer, comparer, former un groupe et travailler ensemble en poursuivant un but préalablement fixé et utiliser la diversité des compétences de chacun pour élever le niveau moyen du groupe et réaliser l'objectif?

    Est-ce faire intervenir l'incontournable monde numérique dans toute démarche et prise de décision ?

    Montrer que les trois médiatrices d'un triangles sont concourantes relève de la géométrie élémentaire ( ce n'est pas pour cela que retrouver la démonstration l'est...) alors doit-on attendre de l'érudit de demain qu'il sache faire la démonstration, qu'il connaisse son existence ou qu'il sache la retrouver sur le net en étant capable de déterminer sa fiabilité ?

    Que peut-on dire  sur ce qui relève aujourd'hui de l'enseignement de la jeune génération pour la préparer à la vie de demain : mieux vaut-il lui apprendre à démontrer, lui délivrer une culture générale au sujet de la démonstration ou lui apprendre à vérifier, valider et comprendre un contenu proposé de façon numérique?

    Franchement, je n'ai pas la réponse et je crois que les trois aspects sont tout aussi importants.

    La géométrie et son possible abandon est ici un prétexte pour faire émerger la réflexion de la médiatisation de l'humain par le numérique. Internet et plus généralement un environnement numérique connecté n'est pas un média chaud comme la télé où l'on se place devant et que l'on consomme mais un média froid auquel l'humain participe, que l'humain utilise et par lequel il se médiatise. La fusion de l'objet et du sujet dans le monde numérique est une question philosophique centrale qui déborde largement du cadre de l'enseignement mais l'englobe aussi entièrement et le place devant la difficile tâche de devoir répondre un peu seul à la question:

    " Qu'est-ce que le savoir de l'homme dans une société technologique, dans laquelle il est médiatisé par et dans le monde numérique ? ".

     

    "Tout ce que..." / "All you want..." 7/12 To be continued...

    Photo : Rémy Saglier Doubleray

  • Quelques réflexions supplémentaires sur une future réforme du lycée

    Une réforme du lycée en mathématiques sera, de mon point de vue,  majeure si les contenus proposés sont assortis de réelles nouveautés dans la façon d'enseigner, de motiver les élèves, de les entraîner, de réorganiser la classe, de définir des exigences et les moyens de transmission des connaissances et des techniques, de proposer et d'imposer des laboratoires de mathématiques comme ils existent déjà en physique et en SVT. Il faudrait  que des nouveautés pédagogiques apparaissent clairement dans les ouvrages ou sur le Net et soient citées dans le corps du texte officiel. Il pourrait être intéressant de demander à ce qu'apparaissent dans les nouveaux manuels et les programmes, des formulations qui ne s'adressent pas à l'élève seul mais aussi à un petit groupe d'élèves homogène ou hétérogène, que de réelles pistes motivantes soient trouvées et que ce ne soit pas toujours le prof, seul dans son coin avec sa classe, qui soit invariablement à l'origine de la demande vers le groupe, mais que celle-ci puisse parfois être développée et prise en charge par les élèves eux-mêmes. On peut penser à l'écriture ou la réécriture, individuelle ou collective d'un cours avec certaines contraintes à partir d'un manuel ou du net par les élèves, la publication en ligne, trouver des exemples l'illustrant, réaliser un exercice "lourd" en mettant en commun plusieurs groupes. Autant d'idées possibles qui peuvent se développer mais dont le professeur ne doit pas être à chaque fois l'artisan. Pour cela, il faut réorganiser les espaces, certaines heures de classe, construire différemment les manuels, ne pas les concevoir comme un cumul de chapitres que l'on doit égrainer un à un jusqu'à épuisement du prof, de la classe ou du temps, penser à la publication en ligne ( coté prof et coté élèves) et concevoir qu'un même exercice doit impérativement se rédiger sous diverses formes, tout comme on peut traiter un problème mathématique avec la géométrie pure ou la géométrie analytique.

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  • Tout le monde a raison

    Texte que j'ai publié sur le site de l'APMEP au sujet du projet de réforme de l'enseignement des mathématiques

     

    Un débat s'est ouvert en ce qui concerne la réforme des programmes de mathématiques du lycée en France. On arrive, en forçant à peine le trait, à deux schémas de pensée principaux : il faut que ça change car le lycée est injuste et ne satisfait pas aux besoins primaires en matière d'ouverture et d'orientation et d'autre part, il faut revenir à un système plus lisible où l'on définit clairement les exigences et l'on marque le lycée de connaissances jalonnées et précises de façon à faire émerger les compétences du futur étudiant. C'est particulièrement vrai en mathématiques, matière cumulative depuis le primaire, où l'on ne cesse de voir s'agiter (et d'agiter) le spectre de la dictature des maths dans les médias ou le mythe de la formation du futur scientifique que l'on prépare dans le chaudron de nos cours répétés.

    De plus, en apportant son lot d'informations et de biais, les études PISA permettent une comparaison internationale des systèmes éducatifs, montrant entre autre, que la France peine avec ses lycéens qui sont le plus en difficulté.

    On retrouve cette ligne de fracture et les éléments de cette brève analyse dans les premiers commentaires que j'ai lus ici. Ces différentes positions peuvent parfois être traduites en opinions politiques, en dénonçant en passant leur usage par des « adversaires ».

    On pourra remarquer que les progressistes auront un point de vue externaliste en argumentant sur le fait qu'il est plutôt nécessaire former le futur citoyen à la culture scientifique et que le lycée n'est pas une gare de triage par les mathématiques. Les conservateurs auront, quant à eux, un point de vue plus internaliste, en avançant le fait que l'on ne peut pas faire de mathématiques sans technique, sans "matière" et que c'est un leurre et de la démagogie, de vouloir faire croire à l'ensemble de la population lycéenne et plus généralement à toute la population, que ce pourrait être le cas.

    Vu sous cet angle, on peut dire que tout le monde à raison.

    Mais quatre facteurs principaux doivent être pris en compte avant de parler du contenu propre des programmes :

    1) La modification profonde des structures familiales influant directement sur la quantité de travail personnel et la concentration dans et en dehors des murs du lycée.

    2) La massification engagée depuis plus de 20 ans qui atteint maintenant « sa vitesse de croisière ».

    3) L'accès au lycée clairement démocratique en France.

    4) Une structure post-bac très spécifique en France mélant hyper-sélection précoce et sélection étagée, dans des domaines réservés ou non ( prendre l'exemple des sciences avec l'université et les prépas, le droit avec les seules universités, médecine, les BTS et IUT).

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  • Le décalage...

    L'annonce d'une réforme de l'enseignement des mathématiques devrait susciter une cascade de commentaires sur Internet à la hauteur de ce qu'il est habituel d'entendre soit en salle des profs, soit au travers des manifestations concernant le monde enseignant.

    Force est de constater que, si il y a bien annonce de réforme et si l'APMEP a demandé que toute modification concernant les programmes soit débattue avant d'être appliquée, 2 ans à l'avance, les débats ne font pas rage ni sur la blogosphère , ni sur les forums de discussion.

    4 blogs de maths ont annoncé la réforme avec sur chacun d'entre eux une  note plus ou moins approndie et un fil de commentaires (6 pour l'instant sur le site de l'APMEP).

    Si je compte bien cela fait pour toute la France, une dizaine de commentaires sur ce sujet au lendemain de l'annonce.

    On peut d'ailleurs lire au dessous d'une note le constat suivant :

    Ce qui est étonnant c'est le peu de commentaires ici bas.

    Il serait faux de croire que je veux ici faire la critique du monde enseignant, ou parler de la réforme à venir.

    Je veux juste rapporter le constat suivant :

    Je fais passer les Actualités Mathématiques sur Facebook en publiant leur flux RSS sur mon mur. L'un des  liens concernait le nouveau programme de seconde. Quelques heures après la publication, un élève de terminale trouve le lien, lit le fichier correspondant et fait  une remarque:

    réaction.jpg

    Nous pouvons aussi citer la réaction d'un ancien élève suite à la publication d'un lien vers la note "Conjecturons mais pas trop vite":

    réaction 2.jpg

    On retrouve d'ailleurs quelques heures plus tard cette note en lien sur le mur de Stéphane :

    réaction 3.jpg


    Ce qui me surprend, c'est d'une part la différence quantitative de réactions à l'annonce d'une info: une poignée de commentaires sur l'ensemble des profs de maths au sujet de la réforme rapportés à une réaction parmi mes quelques élèves sur le même sujet et d'autre part la vitesse de réaction à une info.

    On peut parler des heures au sujet de Facebook, sur la validité, la pertinence et la profondeur des informations présentes sur le Net, cependant les deux exemples que je viens d'aborder ne concernent pas le temps qu'il va faire demain mais bien la réforme à venir de l'enseignement des mathématiques en France et les conjectures fausses énoncées par des mathématiciens, deux sujets dont on ne peut pas dire qu'ils soient "Grand public". Cela devrait nous faire réfléchir, non pas sur notre incapacité à réagir mais sur l'incapacité d'un système tel que l'Education Nationale à absorber cette révolution qui est en train de s'opérer sous nos yeux.

    Le décalage est énorme entre un monde qui peine à s'exprimer sur le Net et à réagir de façon naturelle et spontanée, et un autre qui est capable de s'emparer immédiatement d'un sujet et d'y manifester un intérêt dans l'instant, même lorsque les thèmes ne sont pas légers. Comment ce fossé pourra-t-il se combler ?
  • Il était une fois les mathématiques...

    Il était une fois, il y a bien longtemps de cela, la Philosophie embrassait toutes les Sciences. Certes ce que l'on appelait Science autrefois n'avait qu'un lointain rapport avec la façon dont on les pense maintenant. Les mathématiques étaient, suivant l'usage que l'on en faisait, la philosophie que l'on choisissait, préalables à toute connaissance ou détenaient au contraire une faible valeur probatoire en rapport de la Physique. L'essentiel était qu'elles soient bien au chaud sous la coupe de mère Philosophie et qu'elles alimentent les dialogues où le mathématicien se trouvait être, selon la situation, maître du monde de la connaissance ou artisan de l'inutile. Dans chacun des deux cas, la simple connaissance de l'existence du mathématicien suffisait et il fallait laisser à ces spécialistes ou à quelques illuminés, la tâche ingrate de faire des mathématiques. Et puis vient petit à petit l'idée grandiose que l'investigation rationnelle de la nature ne pouvait se faire qu'en respectant une méthode rigoureuse et quasi-mathématique. La Philosophie devait réserver une place de choix, un espace de plus en plus grand aux mathématiques qui ne cessaient de grandir et de mûrir. Les choses commencèrent à s'améliorer nettement pour notre Mathématique et leurs représentants. L'ensemble prit d'ailleurs tellement de place qu'ils durent se séparer de la trop encombrante et lourde philosophie pour pouvoir se développer librement. La Mathesis Universalis prenait son envol. De l'enseignement des plus jeunes enfants aux grands corps d'Etat, il n'était pas d'endroit ( au moins en France ) qui ne voyait pointer le bout du nez de la Reine des Sciences. Alors les mathématiciens s'habituèrent petit à petit à parler plus forts entre eux, fiers de leur position dominante, de toutes ces choses importantes que l'on ne pouvait saisir qu'à la condition d'une pratique intensive et exigeante. Et puis vint le temps de la Grande Harmonisation, qui malgré quelques échos qui s'entendaient déjà bien forts d'une impossible puissance infinie, se fit et emporta aussi avec elle tout le flot des paroles des mathématiciens qui devaient s'incliner devant autant de rigueur et de force. Il était même de bon temps de dire que ce qui était vrai dans les mathématiques, devait aussi l'être pour leur enseignement. Alors la mathématique qui embrassait à son tour, toutes les mathématiques et les mathématiciens se mirent à réver toujours plus fort et toujours plus loin. Les mathématiciens en oublièrent d'ailleurs presque qu'il fut un temps où leur existence était quasiment décorative ou utilitaire, et que ce temps pourrait revenir très vite. Ils oublièrent aussi au passage de parler au peuple de ce que pouvait bien contenir leur science de haut vol. Mais Mère Philosophie n'était plus là pour rattraper ses marmots et l'enfant qui avait grandit devait se débrouiller seul, solitude qu'il avait d'ailleurs bien choisi. Et puis les choses commencèrent à se corser lorsqu'un certain ministre osa clamer l'inutilité pure et simple des mathématiques et presque de leur enseignement. Les mathématiciens avaient beaucoup parlé entre eux et ne s'attendaient pas à si peu de considération pour leur discipline. Puis vint la grande crise, pas une crise des fondements comme ils eurent l'habitude d'en essuyer pas mal de façon interne, mais une simple crise financière, extérieure, qui les projeta sur le devant de la scène. Ils furent accusés de tous les maux et bon nombre de procès leur fut intentés. Les mathématiques et les mathématiciens furent ébahis, car ce qu'ils prenaient pour de la grandeur, s'était transformé devant leurs yeux en décadence. Et comment lutter puisqu'ils n'avaient dit mot jusque-là sauf dans quelques cercles tellement restreints que rien ne filtrait vers l'extérieur, ils ne savaient d'ailleurs pas ce qu'était un micro ni une caméra. Comment rattraper l'étendue des dégats sans porte-voix? De l'enseignement primaire à la recherche de haut niveau, les mathématiques, déconnectées de leur sens profond, devenaient illisibles et presque inutiles à la société toute entière. Deux questions légitimes apparaissent de fait: A quoi servent les mathématiques et est-il utile de les enseigner? Si d'un point de vue interne les réponses affirmatives à ces deux questions semblent couler de source, cela est bien loin de faire l'unanimité à l'extérieur.

    L'élément le plus important est que les philosophies platoniciennes, aristotéliciennes et cartésiennes qui sont encore associées aux mathématiques ne sont plus efficaces pour répondre à ce type de questions. Elle butent sur le simple fait qu'elles n'ont pas été pensées au sein de sociétés technologiquement développées (on peut résumer en disant en gros que le développement technologique d'une société est corrélé avec sa capacité de simulation et de modélisation). Ainsi avec ce types de philosophies, il est impossible de penséer les mathématiques telles qu'elles sont et telles qu'elles devraient apparaître dans l'enseignement.

    Il semble donc urgent d'activer une philosophie sous-jacente aux mathématiques sur laquelle elles peuvent s'appuyer pour produire un discours justificateur et explicatif. Un malheur n'arrive jamais seul et non seulement les mathématiques ont été détachées de leur bases philosophiques depuis près de trois siècles mais on ne peut pas dire que la philosophie liée à la complexité du monde et aux sociétés technologiquement avancées soit en grande forme. Il manque donc le lien mais aussi le terreau.

    Il serait nécessaire que les mathématiques actuelles et leur enseignement soient associés à ce que je nommerai "la philosophie de la transmission". Le terme est suffisamment explicite et englobant pour faire sens. La transmission peut d'une part s'entendre au sens collectif ou individuel ( développement durable, générations futures, pédagogie, citoyenneté ), au sens politique ( choix décisifs ), au sens technologique ( récursivité, itération, modélisation, simulation ) ou au sens spirituel ( charité, don, action envers son prochain...). La transmission s'ancre dans l'action, la pratique et l'instant. Un développement de la philosophie de la transmission, intégrant la complexité dynamique, est devenue impérative pour solidifier l'édifice et lui permettre de s'élever à partir de racines profondes. Or force est de constater la maigreur de la littérature sur ce sujet.

    Le travail doit s'effectuer dans plusieurs champs distincts, complémentaires et inséparables.

    • Il faut modifier la philosophie sous-jacente aux mathématiques
    • Il faut modifier le discours sur les mathématiques
    • Il faut modifier modifier le discours sur l'enseignement des mathématiques

     

    • Modifier la philosophie sous-jacente aux mathématiques

    Faire évoluer et converger les philosophies qui sous-tendent les mathématiques en une philosophie de la transmission, de la pratique et de la diffusion centrée sur le moment présent et dont l'acte transcendant est le partage.

    La pensée est un acte et comme tel, elle vit dans l'instant. L'idée est sa réalisation.

    La philosophie de la transmission permet de penser le présent comme qualité potentiellement transcendante. La pratique, et la ritualisation des actes (physiques ou de pensée) redeviennent porteurs de sens en tant que balises visibles et régulières d'un chemin inconnu mais au but clairement identifié .

    Mettre le paradoxe de l'intransmissibilité au centre du questionnement philosophique.

    Replacer les mathématiques comme un élément central de la philosophie de la transmission ( rationnalité, outil, génération de problèmes philosophiques majeurs, socle des sociétés technologiquement avancées, éléments du choix et de la décision... )

    Il faut placer le récepteur, le destinataire, le lecteur, au centre de l'édifice philosophique et non pas le producteur. Ne pas le transformer en consommateur mais le penser comme agent actif et récepteur responsable d'un flux dynamique. La jouissance de l'instant se fait par mesure de son intensité et de sa qualité transmissive (interne ou externe).

     

    • Modifier le discours sur les mathématiques

    Faire évoluer le vocabulaire sur la description des mathématiques

    Elles sont utiles à la compréhension du monde et la permettent (physique, finances, interpolation, statistiques, théorie des jeux, chaos, complexité, comportements dynamiques, évolutions).

    C'est un outil indispensable aux générations futures (simulation, modélisation, extrapolation).

    Elles sont le fruit d'une synthèse universelle.

    Elles permettent de produire un discours rationnel sur les régularités et sur la complexité du monde.

    Elles permettent de parcourir de façon rationnelle un chemin inconnu.

    La pratique est la base de l'activité mathématique. La pratique des mathématiques c'est les mathématiques. On s'exerce à la démonstration, comme à toute technique mathématique.

    Repenser la place de la géométrie et de la preuve. La démonstration devient porte d'entrée dans le monde des mathématiques et non objectif final visé ( il y a beaucoup d'indécidabilité).La preuve n'est pas conclusive, elle est introductive (pour la visite de l'édifice mathématique, pas pour leur enseignement), la pratique (expérimentation) est conclusive et doit être effectuée de façon rigoureuse et sérieuse. Pour préciser, le preuve peut être trouvée sur le chemin de l'expérimentation (ou non) et le cas échéant cela laisse la place à l'expérimentation ( qui peut être celle de la preuve d'ailleurs !). C'est en ce sens que je dit que la preuve est nécessairement introductive et non terminale, c'est l'expérimentation qui l'est, comme outil de découverte d'un surplus de complexité ( si elle existe).

    La simplicité (toute relative!) se montre par la preuve (et ce qui ne veut pas dire que la preuve est simple), alors que la complexité ne se laisse attraper que par l'expérimentation.

    La compréhension n'est pas conditionnelle, c'est la pratique qui l'est.

    Modifier la dynamique de la pratique des mathématiques et la considérer d'origine intérieure se prolongeant vers l'extérieur et non le contraire (de toutes façon c'est une question de foi!).

    Il ne faut pas hésiter à avoir recours à la mise en forme de la présentation des mathématiques, au prosélytisme, rendu possible par les médias et principalement celui qui est le plus adapté aux mathématiques : le monde numérique et Internet.

     

    • Modifier le discours sur l'enseignement des mathématiques

    Donner du sens pour ceux qui ne les pratiqueront plus ou presque plus dans leur vie active et faire pratiquer ceux qui devront les utiliser et les produire de façon assez intensive

    Penser l'hétérogénéité (contenue) comme réellement positive en libérant les leviers d'action positifs et en diminuant l'idée de la figure dominante de l'enseignant pour lui affecter une figure de leader de groupe et de facilitateur de la diffusion des savoirs et des techniques. S'appuyer sur l'énergie du groupe pour diffuser les connaissances et les techniques.

    L'élève ne construit pas son savoir, il construit sa pratique (elle peut être en vue d'augmenter son savoir!) et se met en contact avec les objets de savoirs et de technique en vue de leur intériorisation.

    Modifier la figure idéale-typique du prof de maths, possédant un stock énorme de savoirs « morts », en celle de l'honnête homme cultivé qui diffuse les connaissances au plus grand nombre, permet une analyse quantitative et rationnelle du monde complexe dans lequel nous vivons.

    Réhabiliter l'élève moyen comme praticien actif et positif.

    L'informatique permet d'une part de développer la pratique expérimentale ainsi que de répondre à la demande de rigueur associée à toute discipline scientifique par l'intermédiaire de la programmation.

    Mettre non pas la construction des savoirs au centre du processus de transmission mais l'apprentissage de la rationalité des pratiques. Il faut replacer l'orthodoxie des pratiques et des rituels au centre de l'apprentissage, tout en favorisant et encourager l'émergence de la créativité.

    La pratique régulière et la production interne (intention) sont indispensables à toute personne désirant structurer son esprit, se diriger vers des études scientifiques, des filières sélectives (par les mathématiques)

    La concentration dans l'instant est un élément essentiel de la profondeur des apprentissages, elle permet un accès à la durée, place la difficulté non pas comme obstacle mais comme état de temps, elle permet de pacifier le terrain psychique, elle permet de découpler le temps de la pratique orthodoxe ( en particulier celle des mathématiques) du temps vulgaire.

    Les limites des mathématiques doivent être clairement annoncées dès les petites classes afin de ne pas idéaliser (diaboliser) cette discipline au fur et à mesure de sa pratique. Pour s'en convaincre il suffit d'en parler avec des enseignants non scientifiques.

     

    Selon moi, il reste bien sûr une dernière phase au processus : infléchir l'enseignement des mathématiques, ses buts généraux, l'évaluation, sa place dans le système global mais je laisse la tâche de le faire à ceux dont mission leur est donnée et dont c'est le métier. Le mien est d'enseigner, pas de penser (sauf à mes cours...). 

     

    Transmission Control Protocol