Bertrand Russel
Les équations n'explosent pas.
The Observer 1970
D'autres citations de Bertrand Russel : ICI
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.
Les équations n'explosent pas.
The Observer 1970
D'autres citations de Bertrand Russel : ICI
La plupart des mathématiciens, je l’ai dit tantôt, sont portés à se cantonner dans un cadre conceptuel, dans un "Univers" fixé une bonne fois pour toutes - celui, essentiellement, qu’ils ont trouvé "tout fait" au moment où ils ont fait leurs études. Ils sont comme les héritiers d’une grande et belle maison toute installée, avec ses salles de séjour et ses cuisines et ses ateliers, et sa batterie de cuisine et un outillage à tout venant, avec lequel il y a, ma foi, de quoi cuisiner et bricoler. Comment cette maison s’est construite progressivement, au cours des générations, et comment et pourquoi ont été conçus et façonnés tels outils (et pas d’autres. . . ), pourquoi les pièces sont agencées et aménagées de telle façon ici, et de telle autre là - voilà autant de questions que ces héritiers ne songeraient pas à se demander jamais. C’est ça "l’ Univers", le "donné" dans lequel il faut vivre, un point c’est tout ! Quelque chose qui paraît grand (et on est loin, le plus souvent, d’avoir fait le tour de toutes ses pièces), mais familier en même temps, et surtout : immuable. Quand ils s’affairent, c’est pour entretenir et embellir un patrimoine : réparer un meuble bancal, crépir une façade, affûter un outil, voire même parfois, pour les plus entreprenants, fabriquer à l’atelier, de toutes pièces, un meuble nouveau. Et il arrive, quand ils s’y mettent tout entier, que le meuble soit de toute beauté, et que la maison toute entière en paraisse embellie. Plus rarement encore, l’un d’eux songera à apporter quelque modification à un des outils de la réserve, ou même, sous la pression répétée et insistante des besoins, d’en imaginer et d’en fabriquer un nouveau. Ce faisant, c’est tout juste s’il ne se confondra pas en excuses, pour ce qu’il ressent comme une sorte d’enfreinte à la piété due à la tradition familiale, qu’il a l’impression de bousculer par une innovation insolite.
Dans la plupart des pièces de la maison, les fenêtres et les volets sont soigneusement clos - de peur sans doute que ne s’y engouffre un vent qui viendrait d’ailleurs. Et quand les beaux meubles nouveaux, l’un ici et l’autre là, sans compter la progéniture, commencent à encombrer des pièces devenues étroites et à envahir jusqu’aux couloirs, aucun de ces héritiers-là ne voudra se rendre compte que son Univers familier et douillet commence à se faire un peu étroit aux entournures. Plutôt que de se résoudre à un tel constat, les uns et les autres préféreront se faufiler et se coincer tant bien que mal, qui entre un buffet Louis XV et un fauteuil à bascule en rotin, qui entre un marmot morveux et un sarcophage égyptien, et tel autre enfin, en désespoir de cause, escaladera de son mieux un monceau hétéroclite et croulant de chaises et de bancs. . .
Le petit tableau que je viens de brosser n’est pas spécial au monde des mathématiciens. Il illustre des conditionnements invétérés et immémoriaux, qu’on rencontre dans tous les milieux et dans toutes les sphères de l’activité humaine, et ceci (pour autant que je sache) dans toutes les sociétés et à toutes les époques. J’ai eu occasion déjà d’y faire allusion, et je ne prétends nullement en être exempt moi-même. Comme le montrera mon témoignage, c’est le contraire qui est vrai. Il se trouve seulement qu’au niveau relativement limité d’une activité créatrice intellectuelle, j’ai été assez peu touché par ce conditionnement-là, qu’on pourrait appeler la "cécité culturelle" - l’incapacité de voir (et de se mouvoir) en dehors de l’ "Univers" fixé par la culture environnante.
Extrait de Récoltes et Semailles d'Alexandre Grothendieck
Après quinze jours passés près de Saint-Tropez, plus exactement à Gassin, petit village adorable, perché à flanc de montagne qui domine le golfe de Saint-Tropez, me voici de retour à la maison. Durant le trajet qui mène de la Croix-Valmer aux iles de Port-Cros et de Porquerolles, j'ai pu longuement méditer sur les yatchs de luxe et les villas surplombant la mer. Un propriétaire a même construit un funiculaire pour relier son habitation à la grande bleue... et je me suis dit que ni les bateaux, ni les villas, ni les funiculaires n'auraient intérêt à hériter d'un propriétaire comme moi !
Alors je me suis replongé tranquillement dans mes lectures estivales, allongé sous le soleil et le mistral, badigeonné de crème indice 40, ce qui m'a permis de passer totalement inaperçu parmi les touristes nouvellement arrivés !
Au programme, j'ai lu l'excellent livre de Frédéric Patras : "La pensée mathématique contemporaine" qui dresse son état des lieux en sept chapitres :
Le style en mathématiques
De Platon à Husserl
Des origines des mathématiques modernes
Axiomes et intuitions
Le courant structuraliste
Structures et catégories
Les demeures de la pensée
A la rencontre du réel
Frédéric Patras analyse avec beaucoup de finesse et de profondeur les apports de Bourbaki, tant en termes positifs que négatifs ainsi que leur incidence sur la difficile succession après cette période clé de la vie des mathématiques françaises. Il nous présente aussi l'oeuvre méconnue de 1000 pages d'Alexandre Grothendieck, Récoltes et Semailles, dont les 100 premières pages ont aussi fait l'objet d'une lecture attentive.
" Penser avec Grothendieck " quelques citations pdf : ICI
J'ai presque terminé " Le fabuleux destin de racine de 2 " par Benoit Rittaud qui nous transporte de 1900 avant notre ère grâce à la tablette babylonienne YBC 7289 sur laquelle on trouve la présence de ce nombre avec la précision étonnante de 7 décimales jusquaux calculs par
ordinateurs les plus récents, soit en tout plus de 400 pages de voyage dans l'espace et dans le temps autour de ce nombre qui n'a pas à palir devant les succès médiatiques de Pi et du nombre d'or.
La vidéo de la conférence de Benoit Rittaud et de nombreuses ressources sont disponibles sur le site:
En marge de la théorie des structures, les idées bourbakistes sur les fondations ont été critiquées violemment par un logicien, A. Mathias. Son attaque rejoint partiellement les réserves que l'on peut émettre à propos de l'idée de structure : Bourbaki n'aurait jamais vraiment pris au sérieux la logique ou l'épistémologie. Mathias dénonce les approximations concernant le système de Zermelo-Fraenkel ou la trop longue incompréhension des résultats de Gödel. Sous sa forme la plus extrême, l'attitude de Bourbaki sur ces questions est caractérisée par une description restée célèbre de Dieudonné :
« En ce qui concerne l'attitude de Bourbaki vis-à-vis du problème des "fondations" : elle est décrite au mieux comme une indifférence totale. Ce que Bourbaki considère comme important est la communication entre mathématiciens ; les conceptions philosophiques personnelles n'entrent pas en compte pour lui ».
Il faut aujourd'hui en finir avec de telles positions de principe. Si l'échec du programme structuraliste se traduit par la nécessité de rendre au concept de structure sa fonction téléologique sans essayer de le figer en une notion mathématique formalisée univoque, les travaux de Gödel montrent, pour ce qui est des fondements, les limites de la stratégie consistant à se satisfaire d'un système de type Zermelo-Fraenkel, et à se désintéresser de la métamathématique. Nous incluons dans celle-ci les vues synthétiques et prospectives, comme la recherche des concepts originaires d'une discipline, recherche qui n'est pas du ressort direct de la mathématique formalisée. En d'autres termes, pour aller aujourd'hui au-delà de Bourbaki, il faut en finir avec un discours pragmatique et restaurer, aux côtés de la recherche, le débat philosophique. La mathématique a tout à y gagner : c'est pour elle le seul moyen de reconquérir une audience. Les succès médiatiques de la physique, sa concurrente immédiate dans le panthéon des sciences pures, tiennent à ce que ses questions les plus fondamentales ont su frapper l'imagination collective.
"La pensée mathématique contemporaine" de Frédéric Patras pp 133-134
Partie 1 : ICI
- 2 -
Shanlan savait qu'une de ces loges allait lui être affectée, il n'en ressortirait qu'après bien des souffrances, après avoir passé les trois épreuves de la Licence s'il n'était pas éliminé avant. Quelques temps auparavant Shanlan avait reçu du sous-préfet une petite somme d'argent pour faire le trajet jusqu'au centre d'examen. Il fut dispensé de se rendre vers le milieu de la 7 ème lune devant l'examinateur provincial pour pouvoir concourir car il avait été classé dans la première catégorie à l'examen k'o teng. Il dut cependant se rendre, comme les autres futurs candidats, au bureau de vente des cahiers afin d'acheter ses trois cahiers sur lesquels il allait bientôt composer. Il lui fallu y inscrire son nom, son lieu d'origine, son âge, la forme de son visage, sa taille, son grade littéraire, le nom de son bisaïeul paternel, le nom de son grand-père, le nom de son père et les réponses à diverses questions administratives afin qu'on apposa sur chacun des cahiers le sceau officiel qui lui permettra de composer le jour venu. Un billet lui fut remis en échange des cahiers qui allaient lui être redonnés le jour de l'épreuve. Il était très tard, Shanlan attendait devant la première porte avec sa literie sous le bras, son réchaud, quelques vivres car tout le monde savait que les repas distribués étaient immangeables. Personne ne pouvait accompagner les candidats et donc porter cet encombrant paquetage? les appels se faisaient cinquante par cinquante et lorsqu'il eut franchi la première porte, Shanlan trouva un deuxième point de contrôle avec une fouille sérieuse. Il fut accompagné par un fonctionnaire jusqu'à sa loge qui portait le numéro 9413, celui même qui était reporté sur sur son cahier de composition. Comme toutes les autres elle était fermée sur trois cotés et le quatrième pan, absent donnait sur un long couloir où circulaient continuellement les surveillants. Shanlan vérifia que tout était en ordre, s'il voyait bien les quatre petites tables dont deux serviraient de siège et de table et les deux autres feraient le lit. Même si le confort de la cellule dans laquelle il allait rester près de deux jours était sommaire, la sienne qui portait le numéro 9413 était propre, complète et sans odeur, ce qui n'était pas le cas pour tout le monde. Ce qui amusait le plus Shanlan, c'était toute cette organisation mise en place pour élire seulement les 1484 licenciés du royaume. Quatre types d'officiers choisis parmi les sous-préfets orchestrent le bal de la Licence. Il y a ceux qui sont chargés de recevoir les cahiers de composition, ceux qui ont pour fonction de replier la première page du cahier, de la coller et d'y apposer un cachet pour empêcher que les examinateurs ne puissent voir les noms. Il y a encore ceux qui sont chargés de faire recopier au minium les compositions. Cette recopie se fait en rouge et sera relue par des fonctionnaires affectés à cette tâche afin d'éliminer toute erreur de recopie. Les fonctionnaires ont droit à trois domestiques chacun. Il ne faut pas non plus oublier ceux qui timbrent les cahiers, ceux qui les rassemblent, les surveillants, ceux qui font des enquêtes, ceux qui préparent la nourriture et ceux qui gardent les portes qui viennent juste d'être scellées puisque tout le monde est rentré dans l'enceinte. Personne jusqu'au lendemain soir ne quitterait plus ce camp. Et si par malheur, comme cela arrivait à chaque concours, il y avait un mort par suicide ou par tout autre cause, parmi les candidats ou les surveillants, une entaille serait réalisée dans le mur d'enceinte afin de permettre le passage du corps. Au fond des bâtiments d'examen sont relégués dans la partie la plus septentrionale, pendant toute la durée des épreuves et jusqu'à la publication des listes d'admission, les Examinateurs et les Officiers, nommés les "Mandarins de la cour intérieure". Il ne leur est pas permis de communiquer avec les autres fonctionnaires. Il leur aussi aussi interdit de posséder de l'encre rouge afin qu'ils ne soient pas achetés pour la correction. Ils furent fouillés très strictement à leur entrée dans l'enceinte. Les fonctionnaires des appartements extérieurs ne doivent pas avoir d'encre noire. En fait chaque type de fonctionnaire possède une couleur d'encre qui lui est propre: les Examinateurs impériaux se servent d'encre noire, les autres fonctionnaires de la clôture intérieure d'encre bleue, les fonctionnaires de la clôture extérieure d'encre violette, les Copistes d'encre rouge et les Correcteurs, d'encre jaune. Un vrai festival de couleurs pour un seul cahier, pensait Shanlan qui pensait à bien d'autres choses qu'à réussir cet examen...
La fin de l'histoire : ICI