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Livres et lettres - Page 27

  • Les contemplations - Victor Hugo

    Après l’abbé Tuet, je maudissais Bezout ;
    Car, outre les pensums où l’esprit se dissout,
    J’étais alors en proie à la mathématique.



    La suite sur le blog d'ABC Maths : ICI

  • Mots, maths et histoire : logarithme et algorithme

    Les mots utilisés en mathématiques sont chargés de l'histoire du concept qu'ils nomment. en partant de l'étymologie de termes mathématiques.

    85160e36be5d6845c2a43c2f43b4114f.jpgBertrand Hauchecorne rédige dans Quadrature, magazine de mathématiques pures et épicées, la rubrique " Mots, maths, histoire ".

    Au gré des numéros, on y apprend par exemple l'origine du mot "hasard", qui provient de az zahr désignant la fleur en arabe, celle qui apparaissait sur la face gagnante des dés à jouer.


    Dans l'extrait suivant Bertrand Hauchecorne nous présente l'origine des mots logarithme et algorithme.

    Algorithme et logarithme

    Logarithme, ce mot fait frémir tous ceux que les mathématiques ont traumatisé pendant leur scolarité. Autant que la notion qu’il représente, sa sonorité rappelant le grec, son éloignement des mots du langage courant en sont la cause. Avec des mots comme algorithme, il connote pour le commun des mortels les mathématiques les plus ardues. Il est formé par le mathématicien et théologien écossais John Neper (1550–1617) au début du XVIIème siècle sur les mots grecs logos et arithmos.

    Logos

    Ce mot a en grec le sens de mise en rapport dans des acceptions les plus larges. Ainsi il peut désigner la parole car elle met en rapport les individus, le discours car il synthétise les idées. Il désigne aussi le jugement ou la raison car ils mettent en rapport différents arguments. Pour les premiers chrétiens, logos est utilisé pour désigner le message du Christ, pour signifier son universalité dans la mesure où il explique le monde et que toute vérité s’y inscrit. On reconnaît la même racine grecque dans le suffixe logie que l’on utilise pour désigner différentes disciplines scientifiques. Ainsi topologie correspond à science des lieux et a évincé analysis situ, analyse des positions. Aristote appelait logike l’étude du raisonnementdont le syllogisme (encore la même racine) est un élément essentiel. Ceci a donné en français le mot logique.

    De logos à ratio et raison

    Les Romains ne sont pas de grands mathématiciens et leur langue n’a souvent pas de mot pour désigner certains concepts philosophiques ou mathématiques. Le mot latin ratio désigne d’abord le calcul. Comme c’est l’un des multiples sens de logos, il est choisi, pour traduire les différentes acceptions de ce mot. On comprend ainsi le double sens de rationnel en français, doué de raison et nombre fractionnaire. Raison, en français reprend les différents sens du mot latin et c’est la raison pour laquelle, de nos jours, on parle encore de la raison d’une série géométrique. Arithmos et numerus Le mot grec arithmos a donné l’adjectif arithmétiké d’où provient notre mot arithmétique. Les Grecs différenciaient d’ailleurs la logistique, mot où l’on reconnaît la racine logos de l’arithmétique. La première désignait le calcul et le maniement pratique des opérations alors que la seconde était plus théorique, on parlerait de nos jours de théorie des nombres. Les Romains n’ont aucun équivalent du mot arithmos. La notion de nombre est en fait une abstraction amenée par les mathématiques grecques. Concevoir le nombre 5 en lui même, abstraction de tous les ensembles à cinq éléments comme par exemple cinq cailloux ou cinq bâtons, nécessite une démarche intellectuelle. Aussi pour traduire le mot arithmos, les Romains utilisent le mot numerus. Celui-ci désigne à l’origine une grande quantité, en quelque sorte un grand nombre. On retrouve encore ce sens en français dans l’adjectif nombreux. Dans notre langue numerus a donné nombre.

     

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    Figure 1



    Logarithme

    Soixante-dix ans avant Neper, le moine et mathématicien allemand Michael Stifel (1486–1567) met en relation la suite des entiers avec celle des puissances de 2 (voir la figure 1) et montre comment on peut ainsi transformer une multiplication en addition et une division en soustraction.

    Cependant la notion de logarithme est introduite par Neper en 1614. Il le fait en partant d’un exemple de cinématique. Le mathématicien anglais Henry Briggs (1561–1630) comprend aussitôt l’intérêt de cette relation entre les nombres et voit ainsi le moyen de faciliter les calculs en transformant les multiplications en addition. Pour ceci il faut choisir la base 10. Après unerencontre avec Neper, il publie les premières tables de logarithmes. Neper choisit d’appeler ces nombres des logarithmes. Il les considère comme des relations entre des nombres. Il choisir alors d’utiliser les racines grecques logos et arithmos et crée le mot logarithmus puisqu’il écrit en latin. Signalons qu’en 1620, indépendemment de Neper, l’astronome et mathématicien suisse Jobst Bürgi (1552–1632), définit les logarithmes en exploitant l’idée de Stifel.

    Algorithme

    Quelle ressemblance entre ces deux mots ? La fin est la même et les quatre premières lettres ont subi une permutation. Pourtant le premier est d’origine grecque et le second arabe. Étrange ? Le mot algorithme est une déformation du nom du mathématicien arabe, ou plus exactement persan Mohammed ibn Musa Al Khwarizmi (788–850). Son ouvrage Kitab al jabr w’al muqabalah traite, entre autre, de la résolution des équations du second degré et nous a donné le mot algèbre. Cependant, c’est un livre dont seule la traduction latine nous est parvenu Algoritmi de numero indorum qui a rendu son nom célèbre. Le mot algoritmi est en fait une latinisation de Al Khwarizmi. On peut remarquer que la fin du mot est déformée puisque le z est devenu t. Il faut y voir une influence du mot grec arithmos. Ainsi terminé, le mot créé faisait plus mathématique. Il ne restait plus qu’à y ajouter le h que l’on retrouve dans arithmétique (le th transcrit la lettre grecque thêta) et le tour était joué. On voit ainsi qu’en étymologie les choses sont parfois complexes et que la prononciation et a fortiori l’orthographe peuvent être influencées par la proximité d’un autre mot, de sens voisin, et sans rapport au départ avec lui. Vers 1500, on opposait les abaquistes qui comptaient avec un boulier, aux algoristes qui utilisaient les chiffres arabes. Nous pouvons dire que de nos jours, nous sommes tous des algoristes.

    df7c9679502974cbe7c637dde0b1557e.jpgEn plus du livre " Les mathématiciens de A à Z ", Bertrand Hauchecorne publie le livre " Les mots et les maths "  :

    Quelle relation y a-t-il entre une base canonique et l'âge canonique, entre une combinaison linéaire et les combinaisons que portaient nos grands-mères, entre une série entière et une série télévisée ? Plus sérieusement, d'où viennent les mots que nous utilisons en mathématiques ? Quand sont-ils apparus ? Quel rapport y a-t-il entre un mot mathématique et son homonyme du langage courant ?

    Cet ouvrage répond à ces questions en retraçant l'origine et l'histoire de plus de 500 mots utilisés en mathématiques.

     

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    Quadrature, magazine de mathématiques pures et épicées, s'adresse aux enseignants, étudiants, ingénieurs, amateurs de mathématiques. La plupart des articles requièrent un bon niveau de terminale scientifique ou une première année de premier cycle. Les auteurs sont des mathématiciens, mais aussi des enseignants et des étudiants.

    Quadrature est éclectique : certains articles présentent des mathématiques toutes récentes, tandis que d'autres donnent un nouveau point de vue sur des sujets traditionnels ou encore ressuscitent des questions de géométrie ancienne. On trouve également dans le magazine un forum, des nouvelles, des notes de lecture, des articles d'histoire des mathématiques et des articles de réflexion en relation avec l'actualité. Enfin, un large "coin des problèmes" permet aux lecteurs de poser des questions, qu'ils en connaissent la réponse ou pas.

    Le rédacteur en chef de Quadrature , Olivier Courcelle, m'a aimablement donné l'autorisation de reproduire l'extrait précédent de la revue ainsi que Bertrand Hauchecorne qui en est le rédacteur.

    Je joins le fichier PDF qui vous permettra de lire l'intégralité de l'article précédent, la partie un peu "technique" n'apparaissant pas : q04029.pdf

    Pour les plus écrivains d'entre vous, remarquez, dans le lien précédent, l'appel à contribution pour participer à la rédaction du magazine.

    Pour compléter sur les logarithmes:

    Construction des logarithmes de Neper ( PDF ) : ICI

    Histoire des Logarithmes de Xavier Lefort : ICI

    Les logarithmes de Charles Martin ( PDF ) : ICI

    Un beau diaporama PowerPoint de l'APMEP - IREM de la Réunion - belle iconographie : ICI

    Histoire des Logarithmes livre publié par  l'IREM : ICI et présentation ICI

    Fichier PDF de 33 pages de Simone Trompler. Association Librecours : ICI

    "De la supputation des logarithmes" Ozanam par F. Laroche Promenades Mathématiques : ICI

    La construction des logarithmes de Neper ( PDF 14 pages ) Nicole Vogel : ICI

  • Les écrits d'Archimède sur un livre de prière

    Archimède écrivit un manuscrit sur un rouleau de papyrus il y a 2.200 ans. Plus tard, quelqu'un a copié le texte du papyrus sur un parchemin. Puis, il y a 700 ans, un moine a eu besoin du parchemin pour écrire un nouveau livre de prière. Il a pris la copie du livre d'Archimède qui était  immédiatement disponible , il a coupé les pages en deux, les a tourné de 90°, il a gratté la surface pour enlever l'encre afin de l'utiliser en étant débarassé du texte plus ancien. Il écrivit ensuite ses prières sur des pages presque propres!

    Ce livre était transmis de génération en génération au sein d'une famille française puis il a été vendu chez Christie, deux millions de dollars à un acheteur anonyme.

    L'empreinte initiale est tout simplement la seule trace des travaux du grand mathématicien grec Archimède.

    Cet acheteur a lancé un grand programme de recherche sur le livre. Il ressort visiblement de ce texte qu'Archimède, contrairement, aux idées ayant cours, aurait bien utilisé la notion d'infini réel ( une ligne est infinie) et pas seulement celle d'infini potentiel ( une ligne peut être prolongée indéfiniment).
     

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    Vous trouverez plus de détails sur l'histoire de ce palimpseste et les derniers résultats des études ICI (en anglais)

    L'article de Plume en français : ICI

    Le site du palimpseste : ICI en anglais


    Et en passant, un fichier PDF sur Archimède et un fichier Powerpoint d'André Ross : ICI et ICI

  • Planche de géométrie - Camus - 1769

    Pour rêver un peu, voici cette belle planche de problèmes de géométrie extraite du second volume du cours de Mathématiques " Elemens de Géométrie Théorique et Pratique " de M. Camus de l'Académie Royale des Sciences, de la Société Royale de Londres, Examinateur des Ingénieurs et du Corps Royal, de l'Artillerie, Professeur et Secrétaire perpétuel de l'Académie Royale d'Architecture, Honoraire de l'Académie de Marine. 1769.

    Excusez du peu !

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    Enoncé correspondant aux figures 396 et 397:

    Deux point A et B , visibles ou non visibles l'un de l'autre, étant donnés sur le terrein; trouver tant de points C et D qu'on voudra, qui soient dans l'alignement des deux premiers points A et B.

  • Le goût de la science - Pièce de théâtre en 3 tableaux avec Einstein et Poincaré

    Par Jean-Philippe Ansermet
    Adaptation de Barbara Fournier

    Polyrama 122 : ICI



    Il était une fois une contrée opulente où la jeunesse n’avait plus envie de faire de la science. Tout le monde s’en inquiétait. Les professeurs perdaient leur raison d’être, les recteurs voyaient leurs fonds diminuer et les industriels manquaient de chercheurs. Que faire ? Telle était la question qui mobilisait ce jour-là un distingué aréopage réuni sous un dôme de cristal inondé de lumière. Tous les acteurs arpentent la scène en tous sens. Au milieu de tous les hommes présents, en mouvement, se trouve une figure féminine vaguement éthérée dont les pieds semblent ne pas toucher le sol.



    Ier tableau

    Le Président
    Il n’y a plus à ergoter! Nous devons faire comprendre à la société la fabuleuse contribution de la science à notre monde moderne! C’est le seul moyen de faire revenir nos jeunes sur le chemin des études. Je propose de convaincre les Nations Unies de déclarer une Année internationale de la physique. On fera des fêtes, des conférences joyeuses, on montrera que la physique est toujours une extraordinaire aventure. Qu’en dites-vous, mon cher Albert?

    Einstein
    Cher Ami, la science est moins une aventure qu’un raffinement de la pensée de tous les jours, croyez-moi. Mais il faut reconnaître que certains jours sont plus prolifiques que d’autres! Ainsi voilà tout juste un siècle, je me trouvais bien inspiré!

    La fée Clochette
    Si ma mémoire est bonne, Professeur, vous avez même écrit quelques articles pas mal du tout en 1905: sur la taille des atomes, la première description statistique du mouvement brownien et de la forme du spectre de rayonnement d’un four, la relativité restreinte, et puis E = mc2.

    Le président
    Justement! C’est pourquoi nous avons demandé à l’Unesco de promouvoir l’année 2005 au nom du centième anniversaire de vos excellents travaux.

    Le professeur Rictus
    Président, c’est de la fumée sans feu! Dans mon université, je puis vous assurer qu’il n’y a pas de problème d’effectif.

    Le Président
    Espèce d’égoïste! Taisez-vous! Tôt ou tard, vous allez subir ce désintérêt. Vous aussi, vous viendrez vous lamenter!

    La fée Clochette
    Ne nous énervons pas. La situation n’est pas désespérée. Moi je vous promets que la science passionne chaque fois qu’on la met en scène comme un jeu.

    Le professeur Rictus
    Un jeu? Vous en avez de bonnes, vous! Vous ne pensez qu’à vous amuser!

    La fée Clochette, piquée au vif
    Cher Professeur Rictus, si vous étiez bien plus jeune – hélas même relatif le temps finit bien par passer! – vous auriez pu participer aux joutes de l’International Young Physicist Tournament, dans la charmante ville de W.1 Vous auriez pu concourir pour les Olympiades de la Physique2 et même remporter une médaille. Je vous aurais même vivement recommandé de mesurer votre génie au «Talent Search».

    Le professeur Angelus
    J’abonde dans le sens de Clochette. N’ayons pas l’esprit chagrin! Quand une haute école polytechnique ouvre ses portes aux plus jeunes, c’est la ruée! On refuse du monde. Et de belles initiatives sont prises dans nos contrées pour raviver la flamme des enfants et des adolescents pour le monde de la science.

    Le Président
    Je suis enchanté de ces bonnes nouvelles, mais n’est-ce pas un peu l’arbre de la passion qui cache la forêt de l’indifférence? Moi, je reste très inquiet! Avez-vous lu «La main à la pâte» du Noble Char Pak? Son livre se fonde sur une idée de son ami, Leo Ledermann, qui a aussi été nobelisé, d’ailleurs. Grâce à son action, il paraît que toute la région du grand Chicago est en train de redoper l’enseignement des sciences.

    Le professeur Rictus
    «La Main à la Pâte», ce n’est rien de nouveau au niveau universitaire!

    Le professeur Angelus
    Vous avez raison, Rictus, nous avons une immense collection de démonstrations dont nous devons tirer davantage profit! Malgré la taille des auditoires, les étudiants ont la possibilité de voir les phénomènes se passer sous leurs yeux. A la pause, les plus curieux peuvent tout observer, y compris savoir comment l’expérience a été montée. C’est un patrimoine précieux que nos collègues nous ont légué!

    Le professeur Novus
    C’est un peu ringard, tout ce bazar! Croyez-moi, les cours virtuels sur ordinateur, c’est ça l’avenir!

    Le professeur Rictus
    Des simulations sur internet, on peut toujours envisager de s’y lancer, mais monter une collection d’expériences, ça ne s’improvise pas comme ça, Angelus! Il faut par exemple recycler des expériences des laboratoires de recherche, cela prend des générations à mettre en place, c’est de l’authentique!

    Le professeur Novus
    Si c’est comme ça que vous voulez enseigner, alors montrez donc aux jeunes comment fonctionne un véritable réacteur nucléaire! Quel luxe! C’est à peine imaginable. Mais ce serait si bien: un vrai remède pour démystifier la peur du nucléaire. J’adorerais que des étudiants puissent contrôler eux-mêmes un accélérateur de particules élémentaires…

    La fée Clochette
    Messieurs, allez, allez! Ne réduisons pas la discussion à des expériences d’auditoires, à des écrans d’ordinateur et des manips presse-bouton. Jetez vos étudiants dans le bain de la recherche, jetez-les dans les vapeurs de la science, et laissez-les s’enivrer! Cher Albert, quelles premières essences conseilleriez-vous pour ce bon bain?

    Einstein
    De la joie, de l’imagination, de la beauté, de la curiosité, de l’émerveillement et, surtout n’oublions pas l’essentiel, la liberté…



    IIe tableau

    La lumière a baissé singulièrement. Les personnages se sont assis sur un long banc, côte à côte. Chacun fixe un point indistinct dans l’espace. Deux ou trois ombres passent et repassent derrière une paroi translucide. Au loin, on entend une femme qui chante une chanson très mélancolique. Fée Clochette a disparu de la scène.

    Le professeur Angelus
    La fée Clochette a raison! Sans avoir trempé soi-même dans le bain de la recherche, c’est difficile d’apprendre les sciences aux enfants autrement que comme une langue morte!

    Le Président
    Pour se plonger dans ce bain, les enseignants devraient au moins pouvoir se joindre aux chercheurs dans une réunion annuelle au niveau national6. Chacun pourrait se convaincre que la science n’a pas l’aridité de ces théorèmes qui nous bassinaient quand nous étions petits! Chacun verrait que la science est aussi un art.

    Arthur Koestler, émergeant de la zone translucide
    Pardonnez-moi de me citer moi-même, je sais bien que cela ne se fait pas! Mais «aucune découverte n’a jamais été faite par déduction logique; aucune production artistique n’a été produite sans un artisanat calculateur; les jeux émotifs de l’inconscient entrent dans les deux activités.»7 Tu en as été un exemple magnifique, Albert…

    Einstein
    Merci, Arthur. Je me suis toujours senti assez artiste pour puiser librement dans mon imagination. La connaissance est limitée, l’imagination saisit le monde. Je vous jure que mon don de fantaisie a eu plus d’importance pour moi que ma capacité d’absorber des connaissances. L’esprit intuitif est un don sacré et l’esprit rationnel son serviteur fidèle. Hélas, nous avons créé une société qui honore le serviteur et a oublié le don.

    Le professeur Rictus, s’échauffant
    Je vous applaudis des deux mains, Professeur Einstein! La science, c’est une permanente rébellion! Voilà ce qu’il faut dire aux jeunes.

    Le professeur Novus, s’échauffant aussi
    Entièrement d’accord! La science est bien plus un questionnement du savoir que son accumulation! L’analyse critique est vitale pour tout scientifique digne de ce nom. Maîtriser un sujet, c’est aussi reconnaître les limites des faits, des théories et des modèles abordés.

    Le Président
    Votre théorie de la relativité est un exemple flagrant de cette évolution de notre compréhension des choses, Professeur Einstein. A l’époque de vos premiers travaux, seuls des penseurs aussi avancés que vous-même…

    Henri Poincaré, émergeant de la zone translucide
    Quoi? Quoi? et moi alors, il m’a piqué toutes mes idées!

    Le professeur Rictus
    Tiens! Mais que fait donc ici Monsieur Poincaré, il n’était pas dans la liste des invités du jour?

    Le président, craignant l’incident diplomatique
    Einstein et vous aussi, Professeur Poincaré, vous seuls pouviez vous engager dans une réflexion sur «le temps» et son rôle dans les représentations scientifiques du monde qui nous entoure. La conscience des gens a tellement évolué que, de nos jours, ces concepts si complexes que vous étiez presque seuls à comprendre sont abordés dans les cours de base de la formation universitaire!

    Einstein
    Oui! Mais les jeunes ont encore du pain sur la planche. Il y a toujours des problèmes théoriques non résolus, en particulier des théories incompatibles, même si chacune marche bien dans son domaine d’application!

    Le professeur Rictus
    Bien sûr. Les chercheurs ne passent pas leur temps à couper des cheveux en quatre et à ronronner aux confins de l’abscons! Il y a tant de défis technologiques à relever qui restent insurmontables dans les cadres conceptuels actuels.

    Le professeur Novus
    Pourtant le Roi et ses ministres vous diraient que les scientifiques ont fait tant de découvertes qu’il n’y a pas lieu de chercher davantage. Ce qu’il faut, vous diraient-ils, c’est opérer immédiatement un transfert de technologies!

    Fée Clochette, qui tombe du ciel, tout agitée
    Mais Messieurs, ne voyez-vous pas que nos technologies avancent vers des limites intenables et que seul un changement de paradigme permettra de continuer de progresser? Voilà un nouveau digne de futurs petits Einstein!


    IIIe tableau

    La scène est obscurcie. On ne distingue plus que la silhouette des protagonistes, debout, de dos. Immobiles.

    Le professeur Rictus, pensif
    Je crains que vos émules, Professeur Einstein, ne se retrouvent en sciences de la vie plutôt qu’en physique.

    Einstein
    Vraiment? Pourtant, c’est en physique qu’on peut construire des conceptions du monde. Et qui alors construirait une théorie quantique de la gravitation?

    Le Président
    Pardonnez-moi de revenir au sujet qui me préoccupe. J’espère que nos actions de promotion autour de la physique cette année auront un effet durable. Et que ceux qui sont toujours pressés d’avoir des résultats se souviendront de l’impact des recherches fondamentales sur la société. C’est fou à quel point on a tendance à oublier les contributions de la physique! Il y a quelque temps, la télévision avait demandé à un groupe de savants quelles étaient les plus grandes découvertes récentes. Figurez-vous qu’ils ont évoqué la découverte par des médecins de l’imagerie par résonance magnétique nucléaire! Même ces savants avaient oublié que tout avait commencé quand des physiciens des grandes écoles de Boston cherchèrent à mesurer le moment magnétique des noyaux…

    Le professeur Novus
    Il faut reconnaître que personne à l’époque ne pouvait imaginer qu’une recherche aussi fondamentale puisse contribuer au développement d’une technologie d’une telle importance.

    La fée Clochette
    Eh bien maintenant, tout le monde pourra être mis au parfum, surtout les jeunes! Dans notre belle capitale, B., des vulgarisateurs aussi doués que Shéhérazade viendront montrer l’impact des travaux de notre cher Albert sur les GPS, les caméras numériques et même la finance! Je vous garantis que le public sera bouche bée et que les vocations gonfleront comme des petits pains dans le four!

    Les professeurs Rictus, Angelus et Novus, en chœur
    Langue de Shéhérazade et génie d’Einstein, inspirez-nous et retournons préparer nos cours!

    Tout le monde sort dans un roulement de tambour, sauf un homme qui se retourne. Un spot blanc s’allume, erre un instant puis se fige sur son visage. Il a les yeux fermés. C’est Poincaré, en redingote noire.

    Poincaré, comme pour lui-même
    La pensée n’est qu’un éclair au milieu de la nuit. Mais c’est cet éclair qui est tout.

    Le rideau tombe.