Paris n'est pas uniquement la capitale du luxe ou de la mode. Elle peut aujourd'hui revendiquer un titre moins glamour de capitale des mathématiques. Au Collège de France se réunit le gratin des matheux français, des virtuoses de Harvard, d'Oxford, du MIT ou de Chine. Au menu, quelques happy few dégusteront un exposé de haute volée sur l'algèbre de cohomologie ou le groupe de Lie E8. Le grand public préférera les tentatives de séduction de quelques mathématiciens qui relieront leurs travaux à l'océanographie ou à la cryptologie. On apprendra en biologie que les mouvements et la vie des bactéries suivent un modèle qui se rapproche de l'équation de la chaleur.
Les mathématiques sont la seule discipline où la France figure en second au classement Thomson, derrière les Etats-Unis. C'est pour tenter de conserver cette place de choix que plusieurs laboratoires parisiens lanceront aujourd'hui la Fondation Sciences mathématiques de Paris. Son directeur, Jean-Yves Chemin, assure qu'il s'agit du plus grand regroupement au monde de chercheurs et de doctorants en mathématiques. Les universités Paris-V, Paris-VI, le CNRS, l'ENS, l'université Paris-Dauphine et le Collège de France revendiquent un millier de scientifiques en commun, dont 500 chercheurs, et profitent du nouveau statut de fondation de coopération scientifique offert par la création des réseaux RTRA du pacte pour la recherche. Il permet aux centres de recherche de profiter d'une dotation d'Etat et de mettre des moyens financiers en commun avec la souplesse de la gestion privée.
Attirer les étrangers
Contrairement aux autres RTRA, le réseau mathématique a privilégié l'embauche d'étudiants et de jeunes chercheurs, en particulier des postdoctorants. « Il faut une dizaine d'années de travail intense dans l'enseignement supérieur pour faire un chercheur en mathématiques », explique le texte fondateur du réseau. La fondation mathématique veut profiter de ses statuts pour rivaliser sur le marché de la science mondiale. Les laboratoires publics ont souvent des difficultés pour s'aligner sur les salaires internationaux et donc attirer les meilleurs chercheurs français ou étrangers. La fondation aidera ses laboratoires universitaires à embaucher au taux européen. « Il était jusqu'ici impensable d'attirer des postdocs américains », lâche Jean-Yves Chemin.
La fondation commencera bientôt sa « chasse » aux postdocs, en fonction du calendrier international. Un appel d'offres sera publié en octobre, les candidats se présenteront en décembre pour une sélection en février. Cette année, seuls 5 recrutements auront lieu mais le régime de croisière prévoit 15 postdoctorants. Ceux-ci passeront jusqu'à deux ans à Paris. La souplesse du statut lui permet aussi d'intégrer rapidement des thésards très demandés sans intervention du lourd circuit administratif. La fondation a ainsi permis de financer la venue d'un petit génie australien, une belle prise qui fait la fierté de l'Institut de mathématiques de Jussieu. Alertés par le cas d'un étudiant de vingt ans suffisamment précoce pour faire une thèse si jeune, les responsables de l'IMJ ont contacté ses professeurs. La fondation a pu valider son dossier en 15 jours et le ravir à d'autres universités étrangères rivales. Le même cas de figure s'est produit avec une brillante Italienne qui voulait suivre le cours de Claire Voisin, professeur convoité. La fondation peut s'appuyer sur son école doctorale à Jussieu, qui forme 450 doctorants déjà à 40 % étrangers. « Notre sélection est extrêmement sévère, notre action est très élitiste, nous voulons faire de la haute couture », insiste Jean-Yves Chemin.
Convaincre les entreprises
La fondation veut maintenant convaincre les entreprises d'investir dans les mathématiques. Ses laboratoires travaillent déjà sous contrat avec quelques industriels mais elle souhaite attirer des financements « désintéressés ». « Nous souhaiterions que les entreprises financent les mathématiciens comme elles le font pour l'Orchestre de Paris », espère ce spécialiste des équations de la mécanique des fluides. Les mathématiciens devront convaincre qu'ils ne sont pas les théoriciens que les industriels fuient. La fondation pourra faire valoir que son projet scientifique est très orienté vers les applications, notamment financières.
L'expérience du RTRA inspire d'autres laboratoires tout aussi excellents comme Orsay, l'IHES, l'Ecole polytechnique, l'ENS Cachan ou d'autres, qui y réfléchissent. Selon un mathématicien d'Orsay, cette initiative permettrait de financer des activités supplémentaires comme des conférences, des bourses de masters ou des recrutements étrangers. Les laboratoires franciliens pourraient surtout êtres tentés de s'aligner sur leurs rivaux pour rester visibles et attractifs. La « guerre » du savoir ne fait que commencer en France.
MATTHIEU QUIRET: Les échos.fr : ICI
L'article du Monde : ICI