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Epidémies philosophiques

h1n1.jpgLes épidémies n'épargnent personne, pas les politiques et encore moins les philosophes, une population qui semble particulièrement exposée.

Après la gödelite (utilisation des conclusions
des théorèmes de Gödel hors champ des mathématiques), la chaotite (utilisation de la théorie du chaos hors champ des mathématiques) , la catastrophite (utilisation de la théorie des catastrophes hors champ des mathématiques) voilà arrivé le temps de la botulite (utilisation de sources non vérifiées dans le champ de la discipline)...

Quelle est la plus grave de ces épidémies?

Quoiqu'étant un peu moins sévère que Didier Nordon, dans un article de Janvier 1998 dans "Pour la Science" au sujet du livre de Sokal et Bricmont, "Les impostures intellectuelles", je me rangerai à son avis, pour atténuer les maux des trois premières épidémies, celles d'utiliser des notions mathématiques hors champ. Les mathématiques puisent bien dans le vocabulaire courant des mots pour étiqueter des concepts de leur discipline, pourquoi la réciproque ne serait-elle pas possible? Ces captures, permettent en effet de mettre au grand jour des théories mathématiques complexes, même si on aurait préféré qu'elles apparaissent à chacun de la façon la plus fidèle à la réalité disciplinaire et sans lui faire extrapoler et inférer des conclusions qui ne relèvent pas de son cadre restreint d'usage (celui des mathématiques). Pourquoi les philosophes n'auraient-il pas le droit d'user (et d'abuser?) de la métaphore scientifique et tout particulièrement mathématique (quoique la relativité soit aussi un bon candidat... mais il y a quand même pas mal de maths ici aussi!)? Les mathématiques et d'une façon plus générale les sciences dures (mathématisées?) sont-elles les seules à pouvoir disposer des objets qu'elles font apparaître? Didier Nordon, en tant que mathématicien, prend en fait le parti d'en rire . Rire des autres mais aussi de sa propre discipline lorsqu'il s'interroge: "Reprocher aux philosophes postmodernes de ne pas comprendre ce qu'écrivent leurs collègues? A la bonne heure mais dites-moi: les mathématiciens se comprennent-ils les uns les autres?" et de s'interroger sur le choix pertinent du mot "Chaos", terme éponyme de la théorie.

Je dirai cependant que Sokal et Bricmont, ont mis le doigt là où il fallait. S'il n'y a pas d'interdiction, il y a cependant des règles d'usage à établir clairement lorsque l'on transpose les vocabulaires et les concepts. Car si dans un sens le choix d'un mot n'influe pas sur le contenu qui reste cohérent quelque soit celui qui est utilisé comme l'a présenté avec humour, David Hilbert pour montrer que la représentation n'avait pas sa place dans les mathématiques axiomatisées, en disant: "On devrait pouvoir parler en géométrie de tables, de chaises, et de chopes de bière au lieu de parler de points, droites et triangles.", il n'en est pas de même pour la réciproque. Utiliser un concept scientifique précis comme image sans en limiter la portée c'est aussi abuser l'auditoire lui faisant croire à la dimension rigoureuse du discours, à la réussite de sa mathématisation et à la capacité de quelques mots à résumer un concept scientifique complexe. Il y a donc arnaque sur l'emballage, s'il n'est pas tout suite dit que l'utilisation du concept est métaphorique et en ce sens il n'a pas de valeur de preuve ni de validation du discours. C'est simplement un outil d'imagerie comme l'a été la parabole dans un autre domaine. La confusion risque de s'opérer chez le lecteur qui ne parvient pas à séparer distinctement les champs de la science et de l'image. Il est donc nécessaire au philosophe qui sort de son champ pur et qui utilise des images extérieures, de ne pas oublier qu'il est sous licence Creative Commons. Certes il peut diffuser et utiliser mais en revanche, il a interdiction de transformer l'image initiale, ou s'il le fait, il doit clairement l'expliquer et citer la source originale avec une réserve du type "Je sais que le théorème de Gödel dont je vais utiliser les conclusions, n'a de validité que  dans le domaine des mathématiques, mais je vais les utiliser en dehors de ce champ comme image pour mieux vous faire comprendre ce que j'ai à vous dire car il me semble adapté à la situation que je décris." Si ce n'est pas le cas, il y a péché par "omission".

Je dirai que cette erreur est un peu du même type que celle que font les élèves lorsqu'ils ne précisent pas les conditions dans lesquelles ils travaillent, c'est par exemple le cas lorsqu'ils disent "cette équation n'admet pas de solution" sans rajouter "dans IR" alors qu'ils connaissent l'existence des nombres complexes. D'oubli à omission volontaire, la frontière est floue et tout travail rigoureux demande à ce qu'elle soit bien établie, même si le propos est relatif!

Je ne m'attarderai pas sur le cas où le philosophe n'a pas compris le sens de l'image utilisée car j'ai bien du mal à comprendre comment on peut utiliser quelque chose qu'on ne maîtrise pas pour éclaircir un propos! J'ai lu pour ma part quelques perles sur la notion de convergence des séries... Comment qualifier cette attitude? Charabia?

La dernière épidémie est celle de la botulite, elle se déclenche lorsque l'on utilise des sources non vérifiées. Elle est bien connue car elle a déjà  fait de nombreuses victimes (les journalistes ont été pas mal touchés). Dans ce cas je dirai que le mal est plus profond car la philosophie définit elle-même pour sa méthode : "Enfin, la philosophie est une discipline déductive et rationnelle [...] Ce souci de démontrer et de livrer une argumentation se retrouve au cours de toute l'histoire de la philosophie. " (Wikipédia: caractéristiques de la méthode philosophique).

Déjà que la philosophie est bien difficile à comprendre pour qui lui est extérieur, espérons qu'elle veille de façon interne au respect de la méthode... à chacun son Descartes! Je dirai donc que cette épidémie de botulite me semble plus grave  que les précédentes car elle s'attaque à la méthode de constitution interne, en deux points très différents: d'une part en ne prenant pas toutes les précautions nécessaires à l'établissement d'un protocole démonstratif rigoureux et d'autre part en ne confrontant pas ses dires à la réalité. La méthode rigoureuse et exigeante de constitution du savoir est donc mise de coté.

Il s'agit d'une erreur protocolaire.

Mais que va dire le Président ??? Il doit bien rester quelques vaccins en stock pour la soigner.. Mais au fait il sont passé où les vaccins contre la...? Rappelez-moi son nom au fait.


Commentaires

  • D'accord, mais qu'en est-il des frontières de ce que vous appelez "le domaine des mathématiques" ? En tant que pratique, ces frontières sont assez précises, cette pratique étant précisément celle des mathématiciens, mais en tant qu'ensemble de structures identifiables aussi bien dans un cadre purement mathématique qu'en physique, en informatique, en cosmologie, voire en biologie, en psychanalyse ou en philosophie, elles n'appartiennent plus en propre aux mathématiciens, mais en principe à tout le monde : d'une façon ou d'une autre, chacun y a alors accès de façon plus ou moins consciente ou intuitive...

  • Effectivement, je parlais ici de l'utilisation "en interne" des concepts mathématiques, là où les hypothèses d'application sont valides. Je crois cependant qu'en externe il faut distinguer l'individu "lambda" qui ne peut pas être accusé de "ne pas connaître toutes les lois" et le professionnel, d'autant plus lorsqu'il se dit porteur de la démarche scientifique, conférant ainsi un niveau haut d'autorité, ou de confiance vis à vis de ses propos.
    Qu'un individu lambda se trompe sur des sujets aussi pointus me parait inévitable par contre qu'on le trompe sciemment n'est pas excusable.
    Que Lacan utilise des mathèmes, Möbius ou Klein pour illustrer sa pensée soit, qu'on utilise le thm de Gödel pour illustrer un raisonnement d'acord, mais qu'on avance pas l'argument de la preuve mathématique des propos que l'on dit avec la seule figure ou les conclusions du thm mathématique.
    Il y a un monde entre utiliser une image et dire que l'on a la preuve de ce que l'on énonce.
    D'un coté deux objets de pensée sont cote à cote, de l'autre l'un sert de preuve et de caution au second.

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