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Toujours en marchant
Je m'arrète au pays de Lam
Le portier m'interpelle
Eh, l'ami es tu un habitué ?
Non lui répondis-je
Alors tu souffriras me répondit-il en riant
Bonne route quand même
Au pays de Lam, il faisait juste assez chaud pour être bien
L'air y était vif
Pourquoi le portier m'as t-il dit que je souffrirai ?
Après quelques heures de marche, la fatigue commença à me prendre dans les pieds et les jambes. Je décidais de m'arréter lorsque je vis le portier
Et l'ami, on tourne en rond , s'exclama-t-il en riant encore
Non lui répondis-je, j'ai pris la route, elle était droite j'en suis certain
Ah l'ami, au pays de Lam, saches que les droites sont des cercles et les cercles sont des droites, c'est la règle, il faut t'y plier, comme tout le monde
Dis moi, portier, je suis exténué, j'aimerai aller à l'auberge la plus proche, comment puis-je m'y rendre ?
Facile, facile, vas tout droit et tu la trouveras sur ton chemin
Mais comment faire puisqu'ici, aller tout droit signifie tourner, si je reprends la route, je vais tourner en rond une nouvelle fois
Mais l'ami , ici les routes sont interdites, c'est le seul endroit où il ne faut pas aller. Eloigne toi de la route et tu trouveras l'auberge
Dois je aller à gauche ou à droite?
Peu importe ici il n'y a ni gauche ni droite, ou plutôt c'est la même chose
Des champs s'ouvraient à perte de vue, les yeux me piquaient un peu et la chaleur me semblait soudain plus lourde
je marchais, marchais et l'auberge n'apparaissait toujours pas. Le portier aurait-il menti ?
Soudain, une silhouette se dessinait à l'horizon
Pourvu qu'il ne parte pas, j'accélérai les pas et je vis le portier cueillir tranquilement des cerises
Agacé, je demande au portier si l'auberge est encore loin
Ah l'ami, tu ne sais sans doute pas, au pays de Lam, les aubergent passent mais ne restent pas, il est souvent difficile de les rencontrer, cela demande une certain habitude et la première fois personne n'y arrive
Alors comment faire pour me reposer ?
Et bien tu le fais mais pas à l'auberge
Chez quelqu'un alors ?
Si tu veux, tu peux essayer
Je continue mon chemin, qui n'en est pas un d'ailleurs, afin de trouver une habitation, mais des champs, rien que des champs
Soudain, une maison se dessina à l'horizon
Pourvu que le propriétaire soit accueillant, j'accelerais le pas et je vis le portier à la grille
Fourbu,je en pose même pas la question de savoir pourquoi je rencontrai toujours le même homme
Et je lui demandais s'il pouvais m'héberger pour la nuit
Eh l'ami me rétorqua-t-il, tu ne sais sans doute pas, mais je ne suis pas le propriétaire et c'est justement lui qui m'emploie pour garder la demeure afin de s'assurer que personne n'y entre
Peux-tu m'indiquer la prochaine maison alors ?
Je n'en connais pas d'autre près d'ici
Mais alors comment me reposer?
Attends l'auberge, elle va sans doute bientôt passer c'est son heure. Vas au bout du chemin et assieds-toi
, lorsque l'aubergiste te verra, il s'arrêtera
D'accord
En effet, l'aubergiste arriva, c'était en fait une grande roulotte. Ella s'avança jusqu'a moi et l'aubergiste, un maigre bonhome tout rabougri, marmonna une phrase inaudible
Aubergiste, lui dis-je, est-il possible de dormir une nuit ?
Oui c'est possible mais il faudrait que tu sois avec le portier, car ici c'est le portier qui ouvre les portes et moi je suis un simple aubergiste
Tout ceci ressemblait à une farce de mauvais goût
Mais comment aller chercher le portier sans que tu partes?
Ne t'inquiète pas, si tu trouves le portier, je repasserai vite
Je retournais donc sur mes pas, vers la belle demeure afin d'y rencontrer le portier. Il était toujours à la grille
Portier, lui dis-je, je dois attendre avec toi l'auberge afin que tu m'ouvres la porte, c'est l'aubergiste qui m'a envoyé à ta rencontre
D'accord mais je te préviens, il est rare que les auberges passent près des maisons. Elles ne s'aiment pas beaucoup.
Es tu en train de me dire que si j'attends ici l'auberge avec toi, jamais elle ne passera
Je ne suis pas aussi catégorique, mais il est vrai que de mon vivant, je n'ai jamais vu une auberge s'approcher d'une maison
Viens donc avec moi un peu plus loin
Impossible, je garde la porte de la maison
Et quand cesseras-tu ce travail ?
Lorsque le propriétaire reviendra
Quand reviendra t-il ?
Je ne sais pas
Je dois donc attendre un temps indéterminé avant de me reposer !
Oui
Et toi tu ne te reposes pas ?
C'est déjà fait
Et les autres jours , à quelle heure le propriétaire est-il revenu ?
Je ne sais pas, c'est la première fois que je garde sa maison
Et qui est le propriétaire ?
C'est l'aubergiste
Mais alors, il va venir ici
Oui, mais sans son auberge, seulement pour se reposer
Et penses-tu qu'il m'accordera le gîte ?
je ne pense pas, c'est déjà son travail, c'est beaucoup lui demander
C'est inextricable !
Pour toi oui
Pourquoi pour moi ?
Parce que tu as envie de te reposer et visiblement, c'est impossible
As-tu une solution ?
Non, c'est à toi de la trouver, moi je peux seulement te renseigner et t'aider dans la limite de mes possibilités
Que ferais-tu à ma place ?
Je n'y suis pas
Mais si tu y étais ?
La même chose que toi
C'est à dire?
Ce que tu fais
Mais je n'y arrive pas
Alors, moi non plus je n'y arriverai pas
On tourne en rond
C'est comme cela que l'on avance au pays de Lam
C'est fatigant
Oui, je t'avais prévenu, d'ailleurs tu ferais mieux de poursuivre ton chemin car ici il n'y a pas de solution à ton problème
Pour aller où ?
Où tu veux !
Je veux me reposer
Mais ce n'est pas un lieu et au pays de Lam, il n'y a que des lieux, le reste est incertain
Certes mais je vois bien que l'on ne peut ni rentrer dans une maison, ni rentrer dans une auberge, ni prendre une route
Tu as sans doute raison, le pays de Lam est peut-être le lieu de l'idée des lieus, le reste n'est que pure imagination
Mais comment faites-vous pour y vivre ?
On s'habitue, ce n'est pas pire que d'autres rèbgles, c'est différent c'est tout
Ici, vous vivez avec l'idée des choses et non les choses?
Oui et c'est plus reposant ainsi
Je n'ai donc pas d'auter choix que de remplacer l'auberge par l'idée de l'auberge ?
C'est ça, tu peux même mieux faire, en n'ayant pas d'idée du tout
Mais dans ce cas c'est impossible d'avancer
N'oublie pas qu'au pays de Lamn tu avances en tournant en rond
Que veux tu me dire ?
Rien, que les choses ne sont pas forcément comme tu les penses
Je m'y perds
Et pourtant, tu viens d'avancer sans bouger, alors que tu croyais qu'il fallait bouger pour avancer !
Quel étrange pays que ton pays de Lam !
C'est aussi le tien
Comment ça ?
C'est le tien puisque tu y es
Je n'y suis que de passage
Comment peux tu en être si sûr ?
Car je vais retourner dans le mien
Oui mais on ne sort jamais vraiment du pays de Lam. Plus tu le fuieras, plus il se rapprocheras. Plus tu chasses une idée, plus elle s'accroche à toi, ne l'as tu jamais remarqué? Et le pays de Lam, c'est justement le pays des idées
Adieu portier, peux tu m'indiquer comment rentrer chez moi ?
Rien de plus simple
Le portier ouvrit la grille, puis la porte de la maison de l'aubergiste et je vis à ce moment le trottoir sur lequel je marchais
Là-bas chacun se connaissait sans s'être jamais rencontré. C'était comme cela. Les habitants de Lam lisaient dans les pensées des autres, la vie était simple mais pas toujours facile, quelques fois même assez rude mais cela ne durait guère. Il n'y avait pas de chef et le pays s'administrait sans difficulté particulière, avec du bon sens. Les gens étaient différents, avaient plus ou moins d'affinités. Ils se rassemblaient instantanément pour partager leurs différences. Le travail et les richesses se répartissaient globalement bien car chacun partageait la souffrance de l'autre et la comprenait. Les pensées négatives étaient lisibles. Elles s'éteignaient rapidement d'elles mêmes, plus par peur de la moquerie que par une morale rigide. Les gens n'enviaient pas les autres car la facilité de communication comblait souvent leurs souffrances et pour le reste, ils comprenaient et acceptaient le lot de malheurs imprévisibles. Cependant l'injustice la plus mal acceptée était celle de l'inégalité de la longueur de la vie et la maladie. Lorsque les habitants de Lam commencèrent à organiser leur société : certains dont les talents de chercheurs ne faisaient pas de doute furent attachés à la recherche scientifique. Ils firent de rapides progrès. Les médecins et les chirurgiens étaient très appréciés. Lorsqu'ils se croisaient, les gens se demandaient s'ils étaient heureux et si l'organisation de la société leur convenait. Tous répondaient par l'affirmative car un grand bien en provenait.
Des années passèrent et un jour un vieil ermite descendit de la colline, personne ne l'avait jamais interrogé. Dès son arrivée dans la ville, il exprima ce qu'il pensait et expliqua que selon lui, il y avait plus d'égalité à ce que la durée de vie de chacun soit fixée par le destin que par les médecins et que, de vouloir vivre le plus longtemps possible, naîtrait plus d'inégalité que d'égalité. Personne n'était d'accord avec lui. Chaque habitant de Lam ne comprenait pas pourquoi de plus de justice naîtrait plus d'injustice... Le sujet alimenta bientôt toutes les conversations, on ne parlait plus que de cela, jamais polémique n'avait été plus vive au pays de Lam. Il était de plus inacceptable qu'une action collective engagée au départ pour le bien de tous, puisse se poursuivre sans l'unanimité de toute la population. S'il y avait un doute sur l'opportunité de la recherche médicale, il faudrait la stopper tout de suite. Impossible répondait la majorité, ce ne sont pas les pensées farfelues de ce vieil illuminé qui vont modifier ce fabuleux projet d'accroissement de la durée de la vie.
Las, le vieil ermite retourna méditer dans sa montagne, fatigué que la population n'entende rien à son point de vue. L'ambiance générale se dégrada vite car les gens ne parvenaient plus à résoudre les conflits: pourquoi poursuivre une action collective qui ne fait pas l'unanimité? Fallait-il tuer le vieil homme? Fallait-il continuer le projet sans le consentement du vieil homme ou bien le stopper alors qu'il convenait à la population entière sauf au vieil homme? L'idée du bien collectif l'emporta petit à petit, par facilité, par moindre résistance. Mais au fur et à mesure que le temps passait, les habitants constatèrent qu'ils se comprenaient de moins en moins, malgré leur proximité, ils communiquaient beaucoup moins bien qu'avant. Certains tentèrent même de cacher leurs pensées pour ne pas avoir à justifier leurs positions. Une poignée d'entre eux eut l'idée d'aller rechercher le vieil homme dans la montagne. Mais celui-ci resta introuvable, mort peut-être, parti, nul ne l'a jamais su... Ils revinrent bredouilles mais anoncèrent à leur arrivée qu'ils avaient réussi à convertir le vieil homme à l'opinion générale. La majorité fut rassurée mais les choses ne s'organisaient pas aussi bien qu'auparavant. Quelques jours après, les habitants de Lam ne lisaient plus dans les pensées des autres.
Je m'en souviens comme si c'était hier, je ne sais pourquoi ni comment...
Tous mes espoirs s'échappent
Toutes mes idées s'enfuient
Tout mon être s'annihile et mon inspiration s'évapore
Cependant cette pluie glaciale me transperce
La foudre pénètre mon crâne tel un glaive incandescent m'executerait
La pâleur du jour m'assourdit
La froideur des tons m'écrase
Des cigarettes à demi fumées s'entassent toujours dans un cendrier déjà plein
En levant la tête, je me heurte à l'atroce vision d'un mur déchiqueté par les assauts du temps
Ma plume, si lourde, refuse d'écrire...
Je suis seul, mais des ombres malsaines voilent mon esprit, le volent, le violent
La hantise du néant s'installe
Elle m'assassine mais je ne suis pas encore prêt à bien mourir
Aujourd'hui les dieux sont contre moi
Les souvenirs enterrés rejaillissent de l'oubli, tourbillonnent dans mon corps, ils m'envahissent et m'emprisonnent
Une faible lueur apportée par un léger rayon de soleil s'est glissée par l'oeil de boeuf pour venir ensuite s'écraser sur le bureau déjà encombré
Aujourd'hui n'est pas le bon jour mais demain sera peut-être pire
Je me suis laissé emporter par le sommeil, quand j'ouvre les yeux, le soleil est déjà là, le ciel azur et je suis plus calme
Je me lève pour attraper la bouteille de Whisky, cela ne remplit même pas un demi-verre
Je fume ma première cigarette, ce sera la dernière, le paquet est vide
La journée se présente bien
Aujourd'hui, je sens cette force qui vient de l'intérieur, je sens cet élan que rien ne peut réfréner, ni la raison, ni la passion
Je sens que de cette excitation va naître l'inconnu, l'inexploré. Je sens ces pulsions qui mettent mon cerveau en effervescence, mes sens en instance et mon corps en balance
Je deviens prêt, je deviens vierge
Je m'efface et tout s'efface, dedans, dehors, ici et ailleurs
Je me libère, je peux penser
Je viens d'accoucher tous ces haillons qui me gênaient, pas un seul n'est resté, le vise à pris sa place, ce vide originel, pur et imparfait. Le vide de la vie
Aujourd'hui mon cordon ombilical vient de se rompre, je suis nu et libre, ma mère s'éloigne de mon enfant qui nait. Elle veut le prendre dans ses bras, il est encore trop tôt, je suis encore trop fragile
Je lui donnerai un peu plus tard quand je serai prêt, ce jour viendra et je serai finalement heureux
Aujourd'hui je vais vivre, simplement, tranquillement, sans penser à rien, libéré, frais et traversé par le doux voile du bonheur
Au pays de Lam, les maîtres étaient vénérés. L'usage depuis la nuit des temps faisait que les maîtres de nombres étaient les plus haut placés, au dessus des maîtres des images et au dessus des maîtres des mots. Ainsi l'équilibre était établi car les premiers prenaient le temps de la reflexion, les seconds avaient l'imagination fertile et les troisièmes détenaient la légèreté de l'instant et la pesanteur des catégories. Mais un jour, nul ne su comment cela arriva, un maître des mots pris la parole et fut écouté comme un maître des nombres. Il dit " Et si l'on construisait des maisons !", alors un maître des images commença à les imaginer et le maître des nombres qui était là, eu à peine le temps de prendre la parole que le maître des mots lança " Allons au pays de Ter pour les construire, là-bas il y a de la place, ici ce n'est guère possible", et le maître des mots de faire des promesses de bonheur, celui des images y répondant par de grands gestes imageant le contours des palais, chateaux et maisons futurs. Le maître des nombres voulu intervenir, pour expliquer que l'ordre des choses n'était pas respecté, mais déjà, une foule importante était aglutinée autour des deux maîtres charismatiques pour partir au pays de Ter. C'est pourquoi, depuis ce jour, le pays de Lam est presque désert, le pays de Ter est surpeuplé et au pays de Ter, les maîtres des mots dominent les maîtres des images et les maîtres des nombres sont au service des deux autres.