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enseignement - Page 44

  • Les mathématiques et la culture scolaire

    En France, la propriété schizophrénique de la mathématique est exploitée à travers ce qui est connu comme l' « impérialisme des mathématiques » : dans la claire conviction que les mathématiques ne servent strictement à rien, on en fait les pré-requis pour toutes sortes de filières, on les utilise comme opérateur universel de sélection, et pour commencer, on définit à partir de la compétence en mathématiques au lycée la seule option du baccalauréat où tout le monde est obligé de travailler et ou règne déjà une atmosphère du type classe préparatoire, dès la classe de première (l'option S). Cette mathématique vide et dénuée de sens culturel général est donc en même temps prise comme une sorte de ciment culturel de l'école. Tout cela, en même temps, n'est pas seulement un échafaudage inessentiel et rusé, par le biais duquel l'idéologie sociale travestit le réel. L'enseignement des mathématiques dévoile par excellence la structure archaïque de l'école : il s'agit de transmettre des contenus qui ne sont pas déjà possédés et dont le désir n'est pas déjà donné, même si la disposition humaine à les apprendre, les comprendre et les assimiler est parfaite. La cellule dramatique élémentaire de l'enseignement ne peut être que l'écoute confiante de la parole magistrale. Et les figures imposées de l'entraînement scolastique sont ce qui maintient le pacte et l'espoir tant que la domination souve raine de ce qu'il s'agit de transmettre n'est pas acquise. Qu'à travers toutes les réformes et toutes les mutations pédagogiques, en dépit des meilleures intentions humanistes, on retrouve toujours la substructure scolastique, n'est pas chose que l'on devrait déplorer : l'option humaniste devrait se définir comme le souhait d'un aménagement interne de la forme scolastique, et pas comme sa suppression. Dans le cas de la “ crise des maths modernes ”, ce qui a manqué, pour juger sereinement de l'évolution qui était tentée, notamment relativement à l'alternative humanisme - scolastique, c'est la compréhension de la profonde signification culturelle de la mathématique. Bien qu'elle soit en effet coupée du monde, et installée dans un retrait schizophrénique, la mathématique est la tradition de la pensée rigoureuse du multiple, de l'infini, du continu, de l'espace, du calcul, de la preuve, thèmes insaisissables à propos desquelles elle a conçu toute une forêt scintillante de notions et d'énigmes. La culture aurait beaucoup à gagner à compter avec cette littérature fabuleuse, et à laisser retentir tout le long de ses domaines les vues fulgurantes et les idées en provenance de la région mathématique : la coupure qui met à part la mathématique est aussi ce qui la rend apte à aider au façonnement de tous les mondes imaginaires, puisqu'elle n'est inféodée à aucun trait, ni de détail ni de structure, du monde réel tel qu'il est observé et expérimenté. Envisagées de cette manière, les mathématiques deviennent un lieu exemplaire manifestant la solidarité profonde entre culture scolaire et culture, entre la forme rigoureuse de l'école et l'exaltation de la “ vie avec la pensée ”.

    Les mathématiques, la question scolaire et la culture.
    Jean-Michel Salanski Université Paris X Nanterre
    Publié dans La crise de la culture scolaire PUF

  • La promotion automatique

    Un article sur le sujet provenant du Québec : ICI

  • Rencontre de l'élève Törless avec son professeur de mathématiques

    Törless avait demandé au professeur de mathématiques, l'autorisation d'aller le voir à l'effet d'obtenir quelques éclaircissements sur la leçon.

    [...]

    On le fit entrer dans le cabinet de travail. C'était une pièce assez longue à une seule fenêtre ; il y avait près de celle-ci un secrétaire taché d'encre et contre la paroi un divan recouvert d'un tissu côtelé vert, râpeux, enrichi de glands. Au-dessus étaient accrochés une casquette d'étudiant défraîchie et toute une panoplie de petites photos sur papier brun, voilées par le temps, car elles dataient elles aussi de l'Université. Sur la table ovale aux pieds en forme d'X dont les volutes, qui auraient tant aimé être le comble de l'élégance, faisaient penser à un compliment mal tourné, étaient posés une pipe et du gros tabac en feuilles. Toute la pièce était imprégnée d'une odeur de tabac bon marché.
    A peine Törless avait-il enregistré ces impressions et constaté en lui-même un léger malaise, comme à la vue d'un plat peu appétissant, que son professeur entra.
    C'était un jeune homme de trente ans au plus, les cheveux blonds, tout en nerfs ; un mathématicien très capable qui avait déjà soumis à l'Académie une ou deux communications appréciées.
    Il s'assit aussitôt à son secrétaire, farfouilla un moment dans les papiers qui y traînaient ( Törless comprit après coup qu'il s'y était littéralement réfugié), nettoya son lorgnon avec son mouchoir, croisa les jambes et jeta sur Törless un regard d'attente.
    Celui-ci, après avoir considéré le décor, s'était mis à examiner son habitant. Il remarqua une paire de grosses chaussettes de laine blanche, et nota que le cirage des bottines avait frotté de noir, par-dessus, les sous-pieds du caleçon.
    En revanche, la pochette était blanche comme neige, brodée, et si la cravate était ravaudée, elle avait tout l'éclat et la bigarrure d'une palette.
    Törless sentit que ces petites observations contribuaient, sans qu'il le voulût, à le rebuter davantage encore ; il ne pouvait plus guère espérer que cet homme détînt vraiment des secrets essentiels, puisque rien, ni sur sa personne, ni dans ce qui l'entourait, ne suggérait qu'il en fût ainsi. Törless s'était imaginé le cabinet de travail d'un mathématicien tout autrement, dans l'idée que cette pièce devait manifester d'une façon ou d'une autre la nature effrayante des pensées qui s'y formaient. Blessé par la banalité du décor, il la reporta sur les mathématiques elles-mêmes, et son respect fit place, peu à peu, à la réticence et à la méfiance.
    Comme le professeur, de son côté, s'agitait sur sa chaise et ne savait dans quel sens interpréter ce long silence et ces regards scrutateurs, une atmosphère de malentendu pesa dès ce moment sur les deux interlocuteurs.
    -Eh bien ! nous allons... vous allez... je suis prêt à vous donner des éclaircissements, dit enfin le jeune professeur.
    Törless exposa ses objections et s'efforça d'expliquer le sens qu'elles avaient pour lui. Mais il avait l'impression de parler à travers des épaisseurs de brume opaque, et déjà ses meilleurs arguments lui restaient dans le cou.
    Le professeur sourit, toussota, dit : « Vous permettez... » et alluma une cigarette qu'il fuma nerveuse­ment, à petites bouffées ; le papier (tous détails que Tôrless notait entre-temps et jugeait vulgaires) se tachait de gras et se recroquevillait en grésillant à chaque bouffée. Le professeur retira son lorgnon, le remit, hocha la tête... enfin il ne laissa même pas à Tôrless le temps de finir.
    « Je suis heureux, mon cher Törless, vraiment très heureux : vos scrupules sont une preuve de sérieux, de réflexion, de... hum... mais il est bien difficile de vous donner l'explication souhaitée... Il importe avant tout que vous ne vous mépreniez point sur le sens de ce que je vous dis là.
    « Vous avez parlé, n'est-ce pas, de l'intervention dans le calcul de facteurs transcendants, hum oui ! C'est ainsi qu'on les nomme...
    « A vrai dire, j'ignore votre sentiment à ce sujet : ce qui échappe aux sens, ce qui sort des limites de la stricte raison, tout cela est fort délicat. Au fond, je ne suis pas qualifié pour intervenir dans ce domaine, et je tiens beaucoup à éviter une polémique contre qui que ce soit... Mais en ce qui concerne les mathématiques (et ce disant, il soulignait le mot "mathématiques", comme pour fermer définitivement une porte fatale), en ce qui concerne donc les mathématiques, il est absolument certain que nous n'avons affaire ici qu'à un rapport naturel et purement mathématique.
    « Mais les exigences d'une science rigoureuse m'imposeraient l'exposé d'hypothèses préliminaires que vous auriez du mal à comprendre, et de toute façon le temps nous manque.
    « Comprenez-moi : je reconnais volontiers que, par exemple, ces valeurs numériques imaginaires, dépourvues de toute existence réelle, sont pour le jeune étudiant, ma foi ! une noix un peu dure. Vous devez admettre que ces concepts sont des concepts inhérents à la nature même de la pensée mathématique, et rien de plus. Réfléchissez un instant : au degré élémentaire où vous vous trouvez encore, nous sommes obligés d'effleurer beaucoup de problèmes dont il est très difficile de donner une explication exacte. Par chance, peu d'élèves s'en rendent compte ; mais quand l'un d'eux vient nous voir, comme vous aujourd'hui (et je vous le répète, cela m'a fait grand plaisir !), nous ne pouvons que lui dire : Mon cher ami, contentez-vous de croire. Quand vous en saurez dix fois plus qu'aujourd'hui, vous comprendrez. En attendant, croyez !
    « II n'y a rien d'autre à faire, mon cher Törless ; les mathématiques sont un monde en soi, et il faut y avoir vécu très longtemps pour en comprendre tous les principes. »
    Quand le professeur se tut, Törless se sentit soulagé ; depuis qu'il avait entendu se refermer la petite porte, il avait eu l'impression que les mots s'éloignaient de plus en plus... vers l'autre côté, vers le lieu sans intérêt où l'on rangeait toutes les explications justes, mais insignifiantes.
    Toutefois, étourdi par ce torrent de paroles et le sentiment de son échec, il ne comprit pas tout de suite qu'il était temps de prendre congé.
    Aussi le professeur chercha-t-il, pour en finir, un argument décisif.
    Il y avait sur un guéridon un volume de Kant, un de ces livres qu'on aime à laisser traîner avec une feinte négligence. Le professeur le prit pour le montrer à Törless.
    - Vous voyez ce livre : c'est de la philosophie. Il traite des raisons qui déterminent nos actions. Supposé que vous puissiez vous retrouver dans ses profondeurs, vous vous heurteriez, là aussi, à ces axiomes nécessaires qui déterminent tout sans qu'il soit possible de les comprendre à moins d'un effort particulier. Tout à fait comme en mathématiques. Cela ne nous empêche pas d'agir continuellement d'après ces axiomes : ce qui prouve à quel point ils sont importants. Mais (ajouta-t-il avec un sourire en voyant que Törless avait ouvert le livre aussitôt et entreprenait de le feuilleter), gardez ça pour plus tard. Je ne voulais que vous donner un exemple dont vous puissiez vous souvenir ; pour le moment, ce serait un peu ardu pour vous.
     
    Et quelques pages plus loin

    Le soir déjà il ne pouvait plus toucher le livre ( je rajoute : celui de Kant ). Angoisse ou dégoût, il ne savait au juste. Un seul fait précis le tourmentait : le professeur, cet homme si minable, avait ce livre sur son guéridon comme si sa lecture était pour lui un divertissement quotidien.


    Extrait de "Les désarrois de l'élève Torless" de Robert Musil


  • Les temps changent...

    Je lisais un article de "La recherche" publié en février 1983 concernant les calculs de primalité ( un nombre est-il premier ou non ? ) lorsque je suis tombé sur une petite remarque ( entre parenthèses ) que je voulais vous faire partager. Elle semble tellement naturelle à l'auteur J.L. Nicolas, que l'on a bien du mal à concevoir la situation scolaire 20 ans plus tard à la lumière de cette évidence rappelée au lecteur.

    C'est au milieu de l'extrait : la_recherche_fevrier_1983.bmp