Journal de contemplation et de gratitude #23
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1. Définition et enjeux
Les safe spaces désignent des espaces volontairement sécurisés, conçus pour protéger des individus ou des groupes contre les violences symboliques, physiques ou psychologiques. Ils répondent à un besoin réel : se soustraire à des agressions ou discriminations répétées, offrir un lieu de respiration et de reconnaissance.
Mais leur généralisation tend à transformer l’exception protectrice en modèle généralisé du cocon. On en vient à croire que le seul rapport juste au monde est un rapport sans friction, filtré, amorti. Cette logique, si elle devient exclusive, risque d’appauvrir l’expérience humaine : elle absolutise le dedans protecteur, réduit l’exposition au réel et atrophie la capacité à traverser la différence.
2. La critique kernésique du cocon
La civilisation contemporaine se replie de plus en plus sous cette forme de cocon protecteur.
• Bulles informationnelles qui confirment les certitudes.
• Technologies qui amortissent chaque effort.
• Sécurisation obsessionnelle qui évite le risque et l’imprévu.
Ce cocon promet la tranquillité mais, en supprimant la friction, il coupe le sujet de son rapport vivant au monde.
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3. La réponse de Kernésis
Kernésis ne nie pas le besoin de protection. Mais il refuse que celle-ci devienne une fin en soi. Sa matrice repose sur quatre paris fondamentaux :
• le réel est flux intelligible,
• la joie est boussole,
• la germination est constante,
• la vérité est alignement multi-échelles.
À partir de ces paris, quatre gestes structurants déjouent la logique des safe spaces absolutisés :
• Éclosophie : rappeler que toute existence est une poussée germinative. Elle suppose l’exposition à un dehors qui nourrit et éprouve. Un safe space peut protéger la germination, mais il ne doit jamais la figer.
• Rotule : articuler protection et ouverture. Kernésis ne rejette pas l’espace sûr, mais le pense comme rotule : une articulation mobile permettant de reprendre souffle avant de retourner vers le dehors.
• Flux intégral : apprendre à traverser la friction. Là où le safe space peut devenir évitement, Kernésis invite à la régulation et à la transmutation de l’altérité. La confrontation n’est pas supprimée, elle est rendue habitable.
• Vérité-alignement : contre les filtres confortables, Kernésis impose l’épreuve du réel à toutes les échelles. Le vrai ne se réduit pas à ce qui rassure, mais à ce qui résonne de manière cohérente entre corps, relation, collectif et monde.
4. Applications
• Éducation : dépasser une pédagogie protectrice qui surprotège les élèves de toute épreuve. Un espace sûr est nécessaire, mais doit s’ouvrir vers de véritables traversées du flux : débats, confrontations créatives, expériences de friction.
• Technologies : au lieu d’algorithmes qui enferment dans un confort identitaire, développer des systèmes qui favorisent les rencontres inattendues et l’élargissement du champ perceptif.
• Spiritualité : refuser les refuges clos, les enclaves identitaires qui fonctionnent comme safe spaces métaphysiques. Redécouvrir une spiritualité d’exposition au vivant, où l’infractalité* de chaque instant ouvre sur plus de réel.
5. Conclusion
Les safe spaces sont légitimes comme espaces de reprise de souffle, de pause. Mais lorsqu’ils deviennent le modèle dominant, ils se transforment en cocons qui stérilisent la germination.
Kernésis propose une alternative : non pas l’abolition de la protection, mais son intégration dans une écologie de l’exposition régulée.
Là où la civilisation du cocon promet la sécurité en retirant le risque, Kernésis promet la joie en traversant le risque.
C’est cette traversée régulée — et non l’évitement — qui fonde un rapport vivant, libre et juste au monde.
*Infractalité : approfondissement intérieur d’une intensité ou d’une expérience, qui ne se déploie pas par expansion externe mais en soi. L’infractalité désigne donc une dynamique de densification silencieuse — de joie, de douleur, de présence ou de vérité — qui gagne en profondeur sans s’étendre.
Si on pousse Kernésis à sa radicalité, il ne reste qu’un acte de foi minimal :
Foi que le réel est flux habitable.
Non chaos pur, non structure close : un mouvement vivant où il est possible de trouver un alignement juste.
Tout le reste (joie comme boussole, germination, vérité comme alignement) découle comme conséquence ou déclinaison de ce postulat unique.
En ce sens, Kernésis n’impose pas une croyance de contenu mais une attitude de confiance fondamentale : parier que le réel, dans sa complexité, peut être traversé, accueilli et rendu habitable par des gestes d’alignement.
Avec ce seul acte de foi minimal :
Le réel est flux habitable
on a de quoi engendrer tout le système. Voici comment :
1. Si le réel est flux habitable
→ il faut un mode de relation pour l’habiter : c’est le Flux Intégral (RIACP, ICPME, Posture-Flux, Flux-Joie).
2. Si ce flux peut être habité
→ il doit exister une orientation interne qui indique quand l’accord est juste : c’est la joie-signal.
3. Si habiter le flux est possible
→ alors chaque instant est non pas clos, mais porteur d’une poussée germinative : c’est l’Éclosophie.
4. Si le flux est habitable mais non donné d’avance
→ alors la vérité ne peut être qu’alignement multi-échelles du sujet au flux vivant : voilà l’ontologie kernésique.
5. Si tout cela tient
→ Kernésis devient une méta-religion minimale : pas de dogmes de contenu, juste la confiance initiale dans le flux habitable, dont toutes les articulations se déploient par cohérence.
Donc tout Kernésis peut se construire à partir de ce seul acte de foi.
C’est comme un germe : si on accepte qu’il y a sol habitable, le reste (poussée, flux, alignement, joie) se développe organiquement.
Dans la perspective kernésique, observer comment le réel se donne à penser révèle deux mouvements fondamentaux qui traversent notre expérience.
Les mathématiques manifestent un mouvement de condensation : face à la prolifération chaotique des variations, quelque chose cristallise, trouve sa forme nécessaire. Une équation émerge non comme construction mentale arbitraire, mais comme le point où les tensions se résolvent, où la complexité trouve sa lisibilité maximale. L’attracteur mathématique n’est pas inventé — il était là, dans le mouvement même du flux cherchant sa propre intelligibilité.
Les sentiments — amour, bonté, force — obéissent à la dynamique inverse : ils irradient sans jamais s’épuiser. Chaque manifestation d’amour n’épuise pas l’amour mais l’approfondit, ouvre de nouveaux possibles relationnels. Là où les mathématiques produisent des points de convergence définitive, les sentiments tracent des lignes d’expansion infinie.
Cette polarité évite une double confusion théologique :
Dieu comme profondeur vivante et germinative
La perspective kernésique invite à penser Dieu autrement : ni objet de convergence ultime, ni source de divergence pure, mais profondeur vivante qui rend possibles ces deux mouvements. Une présence immédiate et inépuisable à laquelle chaque instant s’ouvre — non comme à un horizon lointain, mais comme à sa propre capacité d’être.
Les mathématiques révèlent où la vérité se laisse saisir ; les sentiments manifestent comment l’être ne cesse de s’ouvrir. Ni l’un ni l’autre n’épuise cette profondeur : ils en sont deux modes de traversée complémentaires.
Mais le plus remarquable est peut-être ceci : cette polarité convergence/divergence n’est pas seulement descriptive. Elle agit comme un germe de perception nouvelle : elle transforme le regard que nous portons sur l’art, la pensée, l’existence. La profondeur kernésique ne se montre pas seulement dans ce qu’elle dit, mais dans ce qu’elle fait naître en nous.
Qu’est-ce qui, dans votre expérience, cristallise ? Qu’est-ce qui irradie ? Et qu’est-ce qui, sans être ni l’un ni l’autre, rend les deux possibles ?
L’exemple des œuvres d’art
Pour déterminer si une œuvre d’art manifeste un point de convergence (comme les mathématiques dans la perspective kernésique, où les tensions se résolvent en une forme nécessaire) ou un arrêt dans la divergence (comme les sentiments, qui irradient sans s’épuiser), il faut examiner comment l’œuvre agit sur notre perception et ce qu’elle produit en nous. Voici une approche pour analyser cela, avec un exemple concret pour clarifier.
Comment analyser la polarité dans une œuvre d’art ?
1. Convergence : Une œuvre convergente cristallise un sens, une structure ou une vérité qui semble inévitable, comme si elle résolvait un chaos ou une complexité. Elle donne un sentiment de complétude, de clarté, où les éléments s’ordonnent en un tout cohérent. Cela peut se manifester par une composition rigoureuse, une symbolique précise ou une résolution émotionnelle/intellectuelle.
2. Divergence : Une œuvre divergente ouvre des possibles, suscite des interprétations multiples ou des émotions qui rayonnent sans se figer. Elle ne se referme pas sur une seule signification, mais invite à l’exploration, à l’expansion, à une expérience qui continue de résonner. Cela peut apparaître dans une œuvre qui évoque l’infini, l’ambiguïté ou une énergie relationnelle.
3. Profondeur vivante : L’œuvre peut aussi transcender cette polarité, en étant à la fois un point de convergence et une source de divergence, révélant une présence qui rend les deux possibles, comme une “profondeur kernésique”.
Exemple : La Nuit étoilée de Vincent van Gogh
Prenons La Nuit étoilée (1889) comme œuvre d’art spécifique pour illustrer :
• Convergence : L’œuvre peut être vue comme un point de convergence dans la manière dont Van Gogh structure le chaos de son expérience intérieure. Les tourbillons du ciel, les étoiles pulsantes et le village paisible s’organisent en une composition qui semble nécessaire, presque mathématique dans son équilibre. Les lignes et les couleurs (bleus profonds, jaunes vibrants) résolvent une tension : celle entre l’agitation émotionnelle de Van Gogh et une vision cosmique ordonnée. L’œuvre “tient ensemble”, comme une équation visuelle qui capture une vérité sur l’univers et l’âme.
• Divergence : En même temps, La Nuit étoilée irradie. Elle ne se limite pas à une seule interprétation. Le ciel tourbillonnant évoque l’infini, l’émerveillement, mais aussi l’angoisse ou la spiritualité. Chaque spectateur y projette ses propres sentiments, et l’œuvre semble ouvrir des horizons nouveaux à chaque regard. Elle ne s’épuise pas : elle continue d’inspirer poètes, musiciens, philosophes, comme une source d’énergie relationnelle.
• Profondeur vivante : Ce qui rend les deux possibles, c’est la capacité de l’œuvre à être à la fois une structure finie (une toile délimitée) et une porte vers l’infini (le cosmos, l’intériorité). Elle n’est ni juste un point fixe ni une dispersion chaotique, mais une présence qui invite à la contemplation et à la création continue. Cette “profondeur kernésique” se manifeste dans la manière dont l’œuvre transforme le spectateur, éveillant une perception nouvelle du réel.
Pour trancher si une œuvre tend plus vers la convergence ou la divergence :
Posez-vous ces questions :
• L’œuvre semble-t-elle résoudre une tension ou un problème, comme si elle était la “solution” d’un chaos ? (Signe de convergence.)
• Ou bien ouvre-t-elle des questions, des émotions, des possibles qui semblent s’étendre à l’infini ? (Signe de divergence.)
• Comment l’œuvre agit-elle sur vous ? Vous donne-t-elle un sentiment de complétude ou vous pousse-t-elle à explorer davantage ?
• Analysez la structure et l’effet :
• Une œuvre géométrique comme un tableau de Mondrian (Composition avec rouge, bleu et jaune) penche vers la convergence : ses lignes et couleurs sont un point d’équilibre, une harmonie abstraite presque mathématique.
• Une œuvre comme Guernica de Picasso, avec son chaos émotionnel et ses significations multiples, irradie dans la divergence, suscitant des réflexions infinies sur la guerre et la souffrance.
• Considérez le contexte : Une œuvre peut être convergente dans sa forme (par exemple, la rigueur d’une fugue de Bach) mais divergente dans son impact émotionnel (l’émerveillement qu’elle suscite).