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LES MATHÉMATIQUES EN FRANCE ET DANS LES SCIENCES

RAPPORT sur LES MATHÉMATIQUES EN FRANCE ET DANS LES SCIENCES
en présence des lauréats de la médaille Fields,
MM. Ngô Bảo Châu et Cédric Villani,
ainsi que du lauréat du prix Gauss, M. Yves Meyer
Compte rendu de la réunion du 17 novembre 2010

Par M. Claude Birraux, Député

EXTRAIT

 

M. Sylvestre Huet, journaliste à Libération.

Nous restons un peu sur notre faim. Vous avez d’emblée évoqué les points forts sur lesquels s’est fondée la fameuse excellence de l’école française. Or l’organisation du système de recherche français a subi de grands bouleversements. Selon vous, cela aura-t-il des conséquences positives ou négatives, ou bien une combinaison des deux selon les différents aspects ? Peut-être faudrait-il parler d’autre chose que des médaillés Fields et des quelques autres récompensés, dont les cas sont certes singuliers mais qui sont limités sur le plan des effectifs. En d’autres termes, le nouveau système entraînera-t-il un maintien, un accroissement ou une diminution de la force de frappe des sciences utilisant des mathématiques ? Prenons un peu de recul historique : la France produit ni plus ni moins de docteurs ès sciences qu’en 1993, c’est-à-dire depuis longtemps, dans un contexte où certains pays moyens ou émergents sont dans une dynamique. Cette stagnation, qui frappe les mathématiciens mais aussi les physiciens, les chimistes, les biologistes et les spécialistes des sciences de la terre utilisant les mathématiques, peut-elle continuer ? Pouvons-nous rester dans cette ère, alors que tout le monde nous dit que le futur sera piloté par les sciences et techniques ? Cela me semble la question la plus cruciale ; je ne suis pas convaincu que l’enjeu, aujourd’hui, pour le système de recherche français, réside aux extrémités, école primaire d’un côté, Normale Sup’ de l’autre.


M. Cédric Villani.

Votre question est très difficile car elle fait appel à de la prédiction, exercice toujours délicat. Si j’ai bien compris, vous vous interrogez sur l’impact possible des réformes actuelles sur l’enseignement supérieur. Les bouleversements étant en cours, nous ne disposons pas du recul nécessaire pour savoir comme la situation évoluera. La loi instaurant l’autonomie des universités, notamment, a fait couler beaucoup d’encre. Je suis très favorable à l’autonomie mais beaucoup de gens ne pensent pas comme moi. En tout cas, tout le monde se reconnaît, je crois, dans le mouvement actuel de revalorisation de l’université en tant que lieu de travail et de production de science. Cela plaît particulièrement aux mathématiciens, pour lesquels une carrière normale, passionnante, consiste à travailler au contact des étudiants, à l’université ; celle-ci, pour nous, joue un rôle central.
Ensuite, une divergence est sensible entre partisans de la centralisation et de l’autonomie. Personnellement, je pense que la gestion matérielle des universités ne peut se faire à distance, de manière abstraite, qu’elles ont absolument besoin d’un pilotage de terrain. La dimension politique locale est également primordiale. Quant aux effets à long terme, il est difficile de les prévoir.
S’agissant des pays émergents, l’université chinoise de Fudan, que j’ai visitée il y a peu, possède un campus effrayant : les standards de qualité de vie sont équivalents à ceux de Stanford. Des sommes considérables sont manifestement investies année après année. Le niveau des élèves n’est évidemment pas le même qu’à Stanford mais l’attractivité est réelle. Peut-être la question des moyens est-elle vitale, les solutions sont souvent simples.

M. Claude Birraux.

La perception de la science et des scientifiques, en Chine, n’est sans doute pas tout à fait la même qu’en France. Certains, chez nous, considèrent que la science est malpropre et que, par conséquent, il ne vaut mieux pas en faire.


M. Cédric Villani.

Les sciences ne bénéficient en effet pas du même respect en Europe et en Asie. Et cela se répercute sur les dirigeants politiques : il est très fréquent, en Chine, que des anciens scientifiques occupent des postes très élevés ; c’est incontestablement beaucoup plus rare dans notre système.


M. Yves Meyer.

Pour répondre très clairement, j’ai toujours été animé par la passion de transmettre et j’ai commencé à enseigner dans le secondaire, avant de poursuivre, pendant quinze ans, en première année de premier cycle universitaire. Mes élèves n’étaient donc ni des médaillés Fields ni des écoliers. La tradition mathématique française, Cédric l’a dit, a consisté à transmettre le feu sacré. Mais cela suppose une réponse. Si aucun public ne vient assister à un concert, à qui en incombe la faute ? Même si le programme est merveilleux, il faut que la société soit au rendez-vous.

La désaffection relative vis-à-vis des sciences traduit aussi la désaffection vis-à-vis de l’effort, mot pratiquement banni de l’enseignement secondaire actuel. Quand j’enseignais en lycée, de 1960 à 1963, je donnais un problème par semaine ; avec cent élèves et dix pages par copie, cela faisait mille pages à corriger et annoter chaque semaine, j’y consacrais mon samedi et mon dimanche. Aujourd’hui, quiconque ferait de même serait traité de bourreau. Les enseignants ne donnent qu’un problème par trimestre, parce que la notion d’effort a disparu.

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