Recension d' Edith KOSMANEK, universitaire retraitée, membre SMF
Abracadabrantesque, ce roman de science-fiction qui vise à donner une réponse définitive à l’éternelle question « Sommes-nous seuls dans l’Univers ?»
Et la réponse est NON, of course.
Trois personnages hauts en couleurs y frétillent avec ardeur :
- Charlotte DAMPIERRE, intrépide physicienne du CERN (Genève) lancée dans une périlleuse expérimentation d’immersion dans un des détecteurs du LHC (Large Hadron Collider, 27 km), soumise à un flux hyperénergétique de protons en vue d’obtenir, entre autres, une cartographie de son réseau de neurones cérébral ; mais elle y tombe dans un coma profond, plongée mentalement dans un « espace hilbertien » constitué d’opérateurs, chacun avec son spectre propre…
- Ali RAVI, son collègue du CERN dont il est chef informaticien ; il sauve Charlotte grâce à l'implantation d’un microprocesseur dans son cerveau, à l’aide d’un ordinateur désormais couplé
à « une transhumaine passée par le quantique » …
- Armand LAFFORET (oui, avec 2 F) mathématicien de l’IHES (Le Bois Marie, Bures sur Yvette) spécialiste de l’analyse spectrale sous toutes ses formes, ami de Charlotte et de Rodrigo : un astrophysicien chilien à l’ALMA (Atacama Large Millimeter Array) le radiotélescope le plus puissant du monde (66 éléments, 1 milliard de dollars) implanté à plus de 5000 mètres d’altitude dans un milieu désertique où il ne pleut que 2 ou 3 fois par siècle…
L’expérience extrême de Charlotte a généré un flux de neutrinos si intense qu’il a alerté un bolide cosmique sphérique de 100 mètres de diamètre, non issu de notre Planète, qui croise à 4000 km/sec en se dirigeant vers notre système solaire. Il émet des spectres si singuliers captés par l’ALMA, que Rodrigo fait appel à Armand pour les analyser ; ils décident d’envoyer des tests de Turing à la sphère; la réponse est époustouflante, elle fait intervenir la correspondance bien connue depuis Riemann entre les nombres premiers et les zéros non triviaux de la fameuse fonction « dzéta » , témoignant ainsi d’une intelligence extraterrestre irréfutable.
Avant de quitter notre système solaire, le bolide cosmique émet un dernier message dont le décodage semble signifier ceci :« Save your souls » à savoir " Prenez garde au machine learning, concentrez-vous sur les concepts ! "
Ce roman a le sérieux mérite d’initier le « grand public » à des concepts et des faits scientifiques variés, exotiques parfois. Quelques exemples, en vrac :
- la fréquence du ronronnement du chat, délicieux félin, est de 24 Hz
- l’importance fondamentale de la notion de spectre, continu ou pas.
- la correspondance naturelle entre « formes » et « spectres de fréquences » d'où la « musique des formes »
- les « suites spectrales », outils cohomologiques féconds, découvertes par Jean LERAY à l’époque où il était prisonnier des Allemands (1940)
- le temps de calcul polynomial pour déterminer la primalité d’un nombre , majoré par la puissance 8 du nombre de ses chiffres; résultat établi par un trio d'Indiens en 2014.
- la nécessité d’utiliser un ordinateur quantique, non encore au point actuellement, pour effectuer la factorisation d’un nombre composé en temps polynomial
- l’existence d’une « spooky action at distance » qui va dix mille fois plus vite que la lumière sans contredire le fameux principe d’EINSTEIN car il n’y a pas transfert d’information
- l’existence d’un code LINCOS établi par le mathématicien hollandais Hans FREUDENTHAL (**) en 1960, destiné à assurer la communication avec les extraterrestres
- le concept de "topos" créé par le célèbre Alexandre GROTHENDIECK, une extension du concept d'ensemble mais avec dépendance d'un aléa; on peut y définir utilement des "chemins de vérité"
- la possibilité de saisir l’émergence du temps à partir de l’aléa du quantique
( explications éclairantes dans un livre précédent d'Alain CONNES : "La théâtre quantique")
- etc
Petite restriction: certains épisodes de ce roman de science fiction sont si insolites qu'ils semblent parfois relever de l'aimable fantaisie plutôt que de la savante extrapolation scientifique ! Mais je ne suis pas académicienne ...
On glane aussi avec plaisir quelques passages poétiques où, par exemple, on magnifie le soleil
« dont les rayons impatients peignent le monde ».
Et pour finir dans l’allégresse, la danse frénétique de Charlotte sur le couplet cosmique suivant :
"J’embrasserai les visiteurs voyageant depuis Bételgeuse
J’accueillerai la légion en provenance d’Orion
S’ils viennent d’autres galaxies, nous parlerons de biologie
Avec ceux venant du Verseau, nous danserons un boléro
Avec ceux des zones mythiques, nous ferons des mathématiques…"
Bravo Charlotte ! Merci au trio CONNES-CHEREAU-DIXMIER !
(*) assisté de son épouse Danye CHEREAU et de son directeur de thèse Jacques DIXMIER
(**) ma thèse de mathématiques (3* cycle) est basée sur 2 articles de FREUDENTHAL
Mail: ekosmanek@aol.com
Site: http://kosmosya.xooit.fr/index.php