Le zèbre et le crocodile ou le symptôme de l'incompétence journalistique (entre autre)
Et de balancer à tous vents "Voici le problème qui traumatise les élèves écossais" et d'évoquer la raison: "Le problème était trop difficile"...
Même notre spécialiste national de l'éducation "L'étudiant" s'y met. C'est qu'il devait être sacrément difficile ce problème écossais! Une véritable douche. Dire qu'il n'y a pas si longtemps je ne ralais que contre Le Monde et Le Figaro. L'époque de la massification-recopie-copier-coller de pseudos analyses, (ou plutôt de leur absence?) est bien ancrée dans notre paysage médiatique. Le recopiage de l'absence de contenu est visiblement devenue le nouveau sport à la mode. C'est sans doute le nouveau chemin de l'abstraction qui a remplacé celui de l'abstraction en mathématiques. Une sorte d'épure, de synthèse vide. J'ai en plus l'impression que les mathématiques ne sont pas les seules concernées, mais pour le reste, je suis moins qualifié.
Ô joie de la superficialité! Quel bonheur: un titre accrocheur et un texte dont les termes utilisés seraient proportionnés aux nombre de signataires d'une pétition et dont l'absence de réflexion serait le signe d'un trop grand contenu ésotérique, inaccessible au bas peuple....
Et de fournir le corrigé de la dite impossibilité. Enfin non, de publier une vidéo en anglais, ce qui semble en l'espèce (francophone celle-là... blague juridique!) ne poser aucun problème de compréhension aux lecteurs... Tiens tous les lecteurs comprennent maintenant spontanément l'anglais au point d'y éclairer la résolution de problèmes mathématiques! Les maths NON mais l'anglais OUI! Qui s'exaspère de la descente abyssale du niveau scolaire? Sans doute une question de vases communiquants. La baisse des atttentes mathématiques produit effectivement une élévation du niveau en anglais... Si si je viens de le démontrer scientifiquement.
Et que fait-on durant ces dix minutes de vidéo?
On présente le problème, car cette histoire de zèbre et de crocodile, est comment dire? Elle est au problème concret ce que .... Enfin vous avez compris. De plus comme le fait remarquer Vicens sur Médiapart, les données numériques ne sont pas très (comment dire là encore? euh réalistes). Ah tiens, je viens de découvrir que l'article était aussi relayé par Le Monde ( Oh qu'est-ce que je ne suis pas étonné!). C'était peut-être cela qui a effrayé nos élèves écossais pour que plus de 11 000 pétitionnaires se soient manifestés! Visiblement non. Ou bien cette histoire à dormir debout debout de zèbre et de crocodile. Que nenni que non plus...
C'étaient les maths qui étaient impossibles! Alors impossibles si quoi? Et c'était peut-être LA question à se poser. Impossible si elles étaient hors programme. Mais rien de ce point dans les articles de journalistes professionnels. Et Vicens a vérifié. La dérivation était au programme.
Alors impossible de faire quoi?
De calculer T(20), T(0) ou de comprendre qu'il fallait le faire, ce qui n'est pas la même chose. De dériver la fonction qui était donnée?
Rien d'impossible, ni même de très difficile sauf si effectivement la dérivée de racine de u n'était pas connue des élèves. Dans ce cas, la troisième question était non pas traumatisante mais effectivement impossible. Sinon, ben la correction montre que ce n'était quand même pas bien violent, d'autant plus que visiblement, on s'affranchit de l'histoire du signe de la dérivée. Heureusement ça tombe bien l'extremum cherché est bien un minimum... On demande juste la réponse numérique. En plus elle est entière. Alors avec quelques calculs à la calculatrice, on pourrait presque tomber dessus par hasard.
La question de fond est donc: à qui s'adresse ce problème et est-ce que les élèves sont correctement préparés? En gros est-ce que les élèves ont réalisé durant leur année, la dérivée d'au moins une fonction de type racine de u et en ont étudié les variations?
Mais alors, nos journalistes français ne semblent pas s'être posés la question puisque l'accusé présumé coupable est déjà au rendez-vous: non pas les mathématiques mais la difficulté mathématique! Si il y a présomption d'innocence dans notre pays pour les plus dangereux criminels, elle n'est pas pour de petites questions de maths.
De plus, nos journalistes ne disposent-ils pas de suffisamment de ressources en interne pour répondre à ces quelques questions basiques, que de devoir faire appel à un corrigé en anglais?
Aïe, j'ai vraiment mal, mais poursuivons ainsi pour que n'importe quelle question relevant de ce que les masses appellent "mathématiques" devienne impossible ou traumatisante sous la plume de quelques pigistes. Un proverbe dit "Quand un seul chien se met à aboyer à une ombre, dix mille chiens en font une réalité". Les journalistes devraient faire leur, le concept mathématique de "problème bien posé" avant de vouloir jeter en pâture n'importe quel sujet. Vive le populisme scolaire servi par les médias! C'est ce qu'on appelle la soupe popuscolaire?
Tiens ça me rappelle un article sur l'enseignement des mathématiques paru dans les années 70 au sujet des programmes de maths de Seconde A, C et T.
Il était intitulé " Mais où sont donc les zèbres et les crocodiles?". La photo suivante, extraite d'un livre de cours de l'époque, était jointe à l'article pour l'illustrer.
Une satisfaction néanmoins: 45 ans après, nous venons de retrouver en Ecosse les deux animaux perdus!
Ainsi vient à la suite de l'article, la compilation des problèmes ayant (soit-disant) traumatisé les internautes, à la suite de la peine de l'élève arrive celle de l'Internaute non différencié avec un grand I dont on ne sait d'ailleurs quel est son niveau d'études, ni son niveau d'expertise, ni depuis combien de temps il a quitté le système scolaire, et dont on imagine sans peine que l'Internaute moyen ressemble au français moyen, notion qui ne recouvre aucune réalité tant l'hétérogénéïté du panel est importante.
C'est donc FranceTVinfo qui nous offre la compil top 3 des problèmes ayant traumatisé les internautes! Merci pour ce grand moment de journalisme...
On y trouve en 1, un problème numérique d'opérations algébriques pour les CE2 vietnamiens, en 2 un problème de logique d'anniversaires de Singapour et en 3, notre crocodile et notre zèbre.
Qu'ont en commun ces problèmes? Mathématiquement rien, sinon qu'ils sont du type "mathématique" et sans doute qu'ils étaient difficiles pour les élèves en question si ils n'étaient pas prpéarés correctement à le traiter. Chacun sait que les problèmes mathématiques en vue d'évaluer les élèves peuvent être catégorisés. Ces catégories sont justement des objets d'enseignement et les élèves sont a priori habitués à résoudre des problèmes dans chacune des catégories. Ils sont aussi entrainés à retrouver des "méthodes type" de résolution de problèmes. Des catégories sont globalement plus difficiles que d'autres (trignométrie, dénombement par exemple), des exercices peuvent être plus difficles que d'autres dans une catégorie donnée. Et tout le monde le sait! Même ceux qui ont des difficultés en maths.
La question est donc de s'interroger sur l'adéquation de la question posée avec le public visé, du ratio des questions difficiles par rapport aux questions plus faciles, de la préparation du public auquel est soumis le test, de la présence de la catégorie et du concept présents dans le problème dans les réferentiels d'enseignement.
Il n'existe donc pas de problèmes mathématiques "difficiles ou faciles en soi" au sens scolaire du terme. Tout est question de pertinence, d'usage, de préparation et aussi in fine, de mesure des différentes compétences de l'élève, ce qui somme toute est le résultat cherché.
Contrairement à ce qui est balancé à qui mieux mieux, via le flux non maîtrisé des médias, il n'existe pas de problèmes traumatisants en mathématiques, mais des problèmes inadaptés à l'évaluation des compétences des élèves. La nuance devrait être le point de départ de tout article sur la question.
C'est un peu comme si on qualifiait de traumatisant un sujet sur la seconde guerre mondiale donné à des élèves n'ayant traité que la première en cours. Il existe des sujets plus difficiles que d'autres sur la première, mais cela ne peut pas aller sans se poser quelque part la question du barème utilisé et de la notation!
Alors pourquoi les mathématiques sont-elle la seule discipline scolaire à avoir un traitement journalistique en France digne des bas fonds, où l'on place systématiquement au cachot le Roi PADAMALGAME tant adulé par les journalistes par ailleurs?
Pour revenir à la problématique de la compil, la recherche de la difficulté intrinsèque de chaque problème est vaine. Une étude plus approfondie et mieux documentée des conditions d'apprentissage et d'évaluation est incontournable. Il n'y a pas d'absolu à la difficulté rencontrée en enseignement des mathématiques, tout est question de contexte et de dosage. A la suite vient effectivement la difficulté du problème à résoudre. Si les enfants vietnamiens sont habitués à résoudre le type de problème posé, il reste sans doute difficile, mais si les élèves n'ont jamais traité d'exercices de ce type, il est tout simplement infaisable! Depuis quand, difficile, infaisable et traumatisant sont-ils des synonymes en français? J'ai encore du louper une réforme.
Il serait dans tous les cas plus "professionnel" et plus honnête intellectuellement, de parler de potentielle inadaptation des sujets posés, qui ont en effet pu amener à un traumatisme chez les élèves ( et leurs parents) en voyant que qu'ils apparaissaient dans leur évalutaion.
Il me semble, toutes choses égales par ailleurs, que le problème du zèbre et du crocodile, soit le moins difficile des trois, la réponse aux deux premières questions étant presque immédiate. La troisième fait appel à une technique très usuelle. Pour ce qui est des deux autres exercices, tout dépend de l'entrainement préalable des élèves, mais ils me paraissent quand même ardus et relèvent sans doute plus de problèmes de type "Concours", Olympiades et compétitions mathématiques que d'exercices d'évaluation standardisés.
Je vous renvoie en passant à mon "traumatisme" personnel qui n'a pas fait la Une des médias de l'époque... Et pourtant!
Remarquez le nombre de questions des exercices 1 et 2 ( une heure de travail pour chacun!). A cette époque ce n'était pas la question qui était traumatisante mais plutôt son absence! Question d'époque.
Commentaires
Brillante critique sur l'engouement médiatique, elle soulève les réels enjeux de l'enseignement des mathématiques où les élèves actuels apprennent une réflexion type, plutôt que d'apprendre à bâtir cette dernière. Si changement de cette mentalité il y a, difficile à construire cette réforme sera...pour tous les protagonistes (éducation nationale, professeurs et leurs élèves).