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Signal fort dans un bruit faible ou signal faible dans un bruit fort?

Dans une société de communication, le bruit devient envahissant et la possibilité de se faire entendre se fait bien souvent à grand renfort de publicité. Si les mathématiques ont joui d'une position archi-dominante dans le système éducatif français et ont formé une image nette et presque archétypale dans l'inconscient collectif pendant la période post-bourbakiste,  il semble que la situation soit en passe de changer radicalement.

Pendant les nombreuses années de vaches grasses, les mathématiques ont été "naturellement" un signal fort dans le bruit faible de la société, où  seul l'énoncé de leur nom suffisait à se rappeler du sérieux de l'affaire. Parents, enfants et toutes les autres disciplines furent dressées pendant quelques générations au garde à vous devant l'injonction permanente d'une société qui n'avait de cesse de penser que réussite scolaire était synonyme de réussite en mathématiques, en Mathématique faudrait-il plutôt dire. Ce n'est pas tant la situation que je pointe ici, que la facilité déconcertante avec laquelle les mathématiques ont intériorisé et incarné chez ceux qui les ont enseigné  et pratiqué, et sur un temps très long, cette mission de triage du bon grain de l'ivraie et de la formation du scientifique qui remonte au XVIIIème siècle, laissant des traces aussi profondes jusqu'à aujourd'hui.

La situation change. Et si elle le fait vite, c'est peut-être aussi qu'à force de conserver une position  sans continuer à fournir un argumentaire audible, cela n'a pas permis de faire émerger une réflexion profonde sur le sujet. Les mathématiques se trouvent en carence idéologique malgré un usage généralisé. Le problème est qu'aujourd'hui parler des mathématiques représente un signal faible dans un bruit fort. Les bonnes intentions seront difficiles à faire reconnaître des mauvaises, l'enrobage pédagogique dans l'enseignement secondaire ne suffira plus à faire avaler la pilule d'un niveau et d'un coût, qui, s'il est trop bas pour certains est toujours trop haut pour d'autres, d'autant plus  quand la figure du vulgum pecus commute en celle du citoyen contribuable. Les universitaires, en haut de leur tour devront user du porte voix pour expliquer et endiguer la désaffection croissante des étudiants dans cette discipline.  Les chercheurs devront se parer de leurs meilleurs atouts pour montrer que leur univers fait bien partie de la vie réelle et que leur quotidien est bien celui d'un professionnel et non d'un monsieur Tournesol inadapté à la société qui l'entoure. Tout ce gentil monde devra se réunir avec la société réseautée et numérisée pour en discuter et faire renaître des cendres un Phénix un peu amoché et célébrer en grandes pompes la résurection.


Photo: Pablosanz

Avant de poursuivre, je voudrai exposer quelques remarques qui ne sont pas toutes nécessairement personnelles:

Le père que je suis se demande s'il n'avait pas été enseignant, si son fils aurait eu d'aussi bonnes notes en maths si le jour où il n'arrivait pas à recopier la ligne de "H" en CP sans déformer les lettres ni à tracer le symétrique d'une moitié de sapin de Noël, il n'avait pas découvert que c'était simplement parce que le regard de l'enfant travaillait de façon relative et non absolue en se tournant vers le dernier symbole qu'il avait écrit!

L'enseignant que je suis se demande comment il est possible que de prestigieux lycées puissent légalement remplacer le programme de mathématiques de la classe de terminale par la première moitié du programme de la première année d'école préparatoire aux grandes écoles, alors que d'autres n'ont pas de professeurs de mathématiques pendant des semaines consécutives.

Le pédagogue que je suis pense qu'il existe une distinction forte entre enseigner les mathématiques et enseigner à faire aimer les mathématiques, et a comme l'impression que la demande générale d'aujourd'hui est plutôt sur le second point que sur le premier tant dans l'intention d'accroître le nombre de vocations scientifiques que pour celle de rendre la période d'éducation initiale soutenable le plus grand nombre.

Le père que je suis se demande s'il peut décemment orienter son fils vers une carrière scientifique compte tenu de la faible reconnaissance sociétale.

L'ancien étudiant que je suis se demande comment l'université a pu lui enseigner cinq ans de mécanique théorique (des maths!) sans jamais lui faire toucher une planche à dessin, ni un logiciel de DAO.

Le sociologue que je suis se demande si les expressions "formation du scientifique" et "formation de l'esprit", tellement utilisées pour vanter les mérites de notre chère et tendre souffreteuse ont aujourd'hui un quelconque sens concret dans la société.

Le fainéant que je suis se demande, pour qui n'a pas de facilités en maths, si le retour sur investissement dans la discipline vaut le coup.

Le politique que je suis se demande pourquoi faire subir à l'ensemble de la société une épreuve dont il n'y a guère que les professeurs de la discipline qui la trouve digne du plus grand intérêt et peut-être quelques passionés et chercheurs.

Le chef d'entreprise que je suis trouve que les maths sont bien trop enfouies dans les produits pour être d'un quelconque intérêt.

Le philosophe que je suis se demande si la notion de performance isolée est encore en phase avec une pensée qui se structure de plus en plus en réseaux. Ou pour préciser, si la vision des mathématiques comme archétype de la performance individuelle est encore viable et porteuse de sens chez les jeunes générations.

Le vulgarisateur que je suis, se demande s'il est possible d'intéresser le grand public avec un sujet autour des mathématiques.

Le français moyen que je suis se demande à quoi peuvent bien servir les mathématiques, s'il s'est d'ailleurs jamais posé la question autrement qu'en pensant il y a bien longtemps, à la note attendue à l'examen terminal.

Le blogueur que je suis se demande si parler des maths sur un blog est vraiment utile, et à qui c'est utile.

L'élève que j'ai été s'est souvent posé la question de l'utilité de tout cela mais comme d'autres élèves faisaient ce qu'on leur demandait sans broncher, il a préféré répondre à des questions de maths que de philo, c'était plus simple pour lui...

L'enseignant que je suis se demande si pour former les scientifiques de demain...

Etc...

Les remarques précédentes ne contiennent pas de réponses implicites, mais veulent mettre en lumière le point suivant:

En fait chacun a son point de vue sur les maths!

Et c'est ce point de vue profondément diffus qui doit être pris en considération dans une réponse structurée à toutes ces questions, puis être concentrée, amplifiée et renvoyée en direction du grand public. C'est parce que la communauté mathématique (au sens très étendu: édition, presse, enseignants, recherche, élèves et  étudiants, parents, officines de cours particuliers..) formée elle-même de personnes aux besoins et aux attentes très différents forment des discours de niveau sonores similaires, en direction de cibles différentes que le discours vers l'extérieur et le plus grand nombre n'est plus très audible. Il n'existe plus d'état visible de cohérence au repos, comme par exemple après Bourbaki et avant le temps de la modélisation/simulation (finance et climat sont les domaines les plus visibles aujourd'hui, peut-être aurons-nous demain la santé publique, la guerre et la paix, le bonheur...). Retrouver cet état de repos, c'est se poser toutes ces questions, plus bien d'autres d'ailleurs, y répondre de façon simple (ce qui ne veut pas dire simpliste)  et pragmatique puis orienter la réponse vers le grand public. Les mathématiques tendent à se spécialiser à outrance dans les hautes sphères de la recherche et à s'enfouir dans les objets (souvent numériques) qu'elles fabriquent ou qu'elles traitent. Leur enseignement systématique ne fait plus consensus. D'unifiées, elles semblent aujourd'hui éclatées et elles sont souvent implémentées dans un ordinateur. Elles sont donc  devenues invisibles en tant que corps et que produit.

Comment devrait être intériorisé, en France, aujourd'hui le mot "Mathématiques" par le plus grand nombre?

Sans réponse à cette question, point de salut. Certes les matheux sont peu habitués à se tourner vers l'extérieur, mais au temps des modèles de plus en plus présents dans la vie quotidienne et de la persistance d'une forme de sélection scolaire qu'elles servent de façon à peine masquée qui ne vise pas seulement à "isoler" le meilleur scientifique, leur éloignement proclamé  de la vie de tous les jours ne colle que très peu avec la réalité des faits. Elles sont en fait presque trop présentes pour ne pas être coupables...

Un message fort et positif, qui colle au quotidien de chacun, est à inventer et il faudra de l'énergie pour amplifier ce signal faible dans un bruit fort afin qu'il devienne signal très fort dans un bruit fort. Je pense que nous ne sommes pas loin de la nécessité d'une approche marketing.

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