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Platon est plus Socratique que Pythagorique

Il en est, comme dit Aristote, qui d'une farousche stupidité, en font les desgoustez. J'en cognoy d'autres qui par ambition le font. Que ne renoncent ils encore au respirer ? que ne vivent-ils du leur, et ne refusent la lumiere, de ce qu'elle est gratuite : ne leur coutant ny invention ny vigueur ? Que Mars, ou Pallas, ou Mercure, les substantent pour voir, au lieu de Venus, de Cerez, et de Bacchus. Chercheront ils pas la quadrature du cercle, juchez sur leurs femmes ? Je hay, qu'on nous ordonne d'avoir l'esprit aux nues, pendant que nous avons le corps à table. Je ne veux pas que l'esprit s'y clouë, ny qu'il s'y veautre : mais je veux qu'il s'y applique : qu'il s'y see, non qu'il s'y couche. Aristippus ne defendoit que le corps, comme si nous n'avions pas d'ame : Zenon n'embrassoit que l'ame, comme si nous n'avions pas de corps. Touts deux vicieusement. Pythagoras, disent-ils, a suivy une philosophie toute en contemplation : Socrates, toute en moeurs et en action : Platon en a trouvé le temperament entre les deux. Mais ils le disent, pour en conter. Et le vray temperament se trouve en Socrates ; et Platon est plus Socratique, que Pythagorique : et luy sied mieux.

Quand je dance, je dance : quand je dors, je dors. Voire, et quand je me promeine solitairement en un beau verger, si mes pensees se sont entretenuës des occurrences estrangeres quelque partie du temps : quelque autre partie, je les rameine à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude, et à moy. Narure a maternellement observé cela, que les actions qu'elle nous a enjoinctes pour nostre besoing, nous fussent aussi voluptueuses. Et nous y convie, non seulement par la raison, mais aussi par l'appetit : c'est injustice de corrompre ses reigles.

Quand je vois, et Cæsar, et Alexandre, au plus espaiz de sa grande besongne, jouïr si plainement des plaisirs humains et corporels, je ne dis pas que ce soit relascher son ame, je dis que c'est la roidir, sousmettant par vigueur de courage, à l'usage de la vie ordinaire, ces violentes occupations et laborieuses pensées. Sages, s'ils eussent creu, que c'estoit là leur ordinaire vocation, cette-cy, l'extraordinaire. Nous sommes de grands fols. Il a passé sa vie en oisiveté, disons-nous : je n'ay rien faict d'aujourd'huy. Quoy ? avez-vous pas vescu ? C'est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations. Si on m'eust mis au propre des grands maniements, j'eusse montré ce que je sçavoy faire. Avez vous sceu mediter et manier vostre vie ? vous avez faict la plus grande besoigne de toutes.

 

Montaigne Essais Livre III chapitre XIII " De l'expérience " .

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