Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une promenade au bord

Les bords sont dangereux, peu sûrs, mais aussi très surprenants et sources de découvertes inattendues. En cela la pensée qui chemine au bord, n'est pas aussi structurée que la pensée encyclopédique, moins cognitive, elle est à l'affut, moins prévisible que la pensée catégorielle, elle est plus incisive mais moins tranchante, plus agile et moins convenue, elle avance, se camoufle, parfois par nécessité, pour découvrir le revers plutôt que de céder à la convention de l'usage. Le bord est glissant et les faux pas peuvent être nombreux, le surcroit d'attention demandé par une promenade au bord ne doit pas être un facteur de ralentissement de la pensée. Que la vue est belle: voir l'humanité tirer le monde derrière elle, comme un Titan, tentant à chaque instant de s'affranchir par la liberté mais y trouvant à chaque fois la pesante réalité du quotidien. Que l'idée est surprenante de s'imaginer marcher indéfiniment sur une ligne droite et ne jamais s'arréter tout comme de marcher sur un cercle et s'apercevoir qu'il en est de même. Les bords qu'ils soient circulaires ou rectilignes sont de même nature dès lors que l'on a aucun moyen de savoir qu'on les parcourt. Est-ce cette main tendue vers l'au-delà du parcours dans l'attente d'une réponse que l'on appelle religion? Le cercle et le trait ne sont-ils pas deux symboles universaux, de la séparation dynamique du yin et du yang, de la circularité infinie de l'immanence et de la transcendance. Comment échapper à la ligne ou au cercle, sinon par un acte de croyance? Le quotidien devient religieux même s'il ne s'exprime pas ainsi, dans le rite ou l'absence de rite, comme pour se rassurer que l'on suit le bon chemin, celui de la frontière qu'il ne faut pas perdre de vue aux carrefours des choix. Mais comment se diriger lorsque le brouillard s'intensifie, lorsque la ligne s'élargit pour devenir terrain vague ou au contraire qu'elle s'évanouie, devenant transparente par dilution? Comment faire lorsque la surface devient tellement lisse et plane qu'elle est son propre horizon, ou tellement accidentée qu'elle le dissimule à chaque endroit? Comment trouver son chemin lorsque les matériaux sont tellement hétérogènes qu'on finit par se perdre dans les substances? Revenir aux fondements, aux origines, aux définitions, se rassurer, faire quelques pas en arrière est certes une tentation louable mais qui n'a que peu de chances d'aboutir car la frontière devient fossé entre la chose décrite et la réalité de sa nature. Il s'opère un éloignement mécanique entre la chose pensée et la chose vécue, il y a décohésion de la pensée, le bord est fossé qui se creuse d'autant plus que la pensée se radicalise, s'enferme dans des catégories prédéfinies par peur de l'inconnu.

Les commentaires sont fermés.